<137>seigneur, que c'était un barbare; mais enfin c'est un barbare qui a créé des hommes, c'est un barbare qui a quitté son empire pour apprendre à régner, c'est un barbare qui a lutté contre l'éducation et contre la nature. Il a fondé des villes, il a joint des mers par des canaux; il a fait connaître la marine à un peuple qui n'en avait pas d'idée; il a voulu même introduire la société chez des hommes insociables.

Il avait de grands défauts, sans doute; mais n'étaient-ils pas couverts par cet esprit créateur, par cette foule de projets tous imaginés pour la grandeur de son pays, et dont plusieurs ont été exécutés? n'a-t-il pas établi les arts? n'a-t-il pas, enfin, diminué le nombre des moines? V. A. R. a grande raison de détester ses vices et sa férocité; vous haïssez dans Alexandre, dont vous me parlez, le meurtrier de Clitus; mais n'admirez-vous pas le vengeur de la Grèce, le vainqueur de Darius, le fondateur d'Alexandrie? ne songez-vous pas qu'il vengeait les Grecs de l'insolent orgueil des Perses, qu'il fondait des villes qui sont devenues le centre du commerce du monde, qu'il aimait les arts, qu'il était le plus généreux des hommes? Le Czar, dites-vous, monseigneur, n'avait pas la valeur de Charles XII. Cela est vrai; mais enfin ce czar, né avec peu de valeur, a donné des batailles, a vu bien du monde tué à ses côtés, a vaincu en personne le plus brave homme de la terre. J'aime un poltron qui gagne des batailles.

Je ne dissimulerai pas ses fautes, mais j'élèverai le plus haut que je pourrai, non seulement ce qu'il a fait de grand et de beau, mais ce qu'il a voulu faire. Je voudrais qu'on eût jeté au fond de la mer toutes les histoires qui ne nous retracent que les vices et les fureurs des rois. A quoi servent ces registres de crimes et d'horreurs, qu'à encourager quelquefois un prince faible à des excès dont il aurait honte, s'il n'en voyait des exemples? La fraude et le poison coûteront-ils beaucoup à un pape, quand il lira qu'Alexandre VI s'est soutenu par la fourberie, et a empoisonné ses ennemis?

Plût à Dieu que nous ne connussions des princes que le bien qu'ils ont fait! L'univers serait heureusement trompé, et peut-être nul prince n'oserait donner l'exemple d'être méchant et tyrannique.