<308>de Trévoux. Si cette supposition est sensée, je me fais trinitaire, et je commencerai à voir jour à ce mystère que les chrétiens ont cru jusqu'à présent sans le comprendre.

Ce qui m'est parvenu de Mahomet me paraît excellent. Je ne saurais juger de la charpente de la pièce, faute de la connaître; mais la versification est, à mon avis, pleine de force, et semée de ces portraits et caractères qui font faire fortune aux ouvrages d'esprit.

Vous n'avez pas besoin, mon cher Voltaire, de l'éloquence de M. de Valori; vous êtes dans le cas qu'on ne saurait détruire ni augmenter votre réputation.

Vainement l'envieux, desséché de fureur,
L'ennemi des humains, qu'afflige leur bonheur,
Cet insecte rampant qui naît avec la gloire,
Dont le toucher impur salit souvent l'histoire,
Sur vos vers immortels répandant ses poisons,
De vos lauriers naissants retarde les moissons.
Votre âme, à tous les arts par son penchant formée,
Par vingt ans de travaux fonda sa renommée;

Sous les yeux d'Émilie, élève de Newton,
Vous effacez de Thou, vous surpassez Maron.
En tout genre d'écrits, en toute carrière,
C'est le même soleil et la même lumière.
Cet esprit, ces talents, ces qualités du cœur,
Peuvent plus sur mes sens que tout ambassadeur.a

Je suis avec une estime parfaite, mon cher Voltaire, etc.

Si vous voyez le duc d'Aremberg, faites-lui bien mes compliments, et dites-lui que deux lignes françaises de sa main me feraient plus de plaisir que mille lettres allemandes dans le style des chancelleries.b

96. DE VOLTAIRE.

(Bruxelles) 12 août 1739.

Monseigneur, j'ai pris la liberté d'envoyer à Votre Altesse Royale le second acte de Mahomet, par la voie des sieurs David Girard et compagnie. Je souhaite que les Musulmans réussissent auprès de V. A. R., comme ils font sur la Moldavie. Je ne puis au moins mieux prendre mon temps pour avoir l'honneur de vous entretenir sur le chapitre de ces infidèles, qui font plus que jamais parler d'eux.

Je crois à présent V. A. R. sur les bords où l'on ramasse ce bel ambre dont nous avons, grâce à vos bontés, des écritoires, des sonnettes, des boîtes de jeu. J'ai tout perdu au brelan quand j'ai joué avec de misérables fiches communes; mais j'ai toujours gagné quand je me suis servi des jetons de V. A. R.

C'est Frédéric qui me conduit,
Je ne crains plus disgrâce aucune;
Car il préside à ma fortune,
Comme il éclaire mon esprit.

Je vais prier le bel astre de Frédéric de luire toujours sur moi pendant un petit séjour que je vais faire à Paris avec la marquise, votre sujette. Voilà une vie bien ambulante pour des philosophes; mais notre grand prince, plus philosophe que nous, n'est pas moins ambulant. Si je rencontre dans mon chemin quelque grand garçon haut de six pieds, je lui dirai : Allez vite servir dans le régiment de mon prince. Si je rencontre un homme d'esprit, je lui dirai : Que vous êtes malheureux de n'être point à sa cour!

En effet, il n'y a que sa cour pour les êtres pensants; V. A. R. sait ce que c'est que toutes les autres; celle de France est un peu plus gaie depuis que son roi a osé aimer.a Le voilà en train d'être un grand homme, puisqu'il a des sentiments. Malheur aux cœurs durs! Dieu bénira les âmes tendres. Il y a je ne sais quoi de réprouvé à être insensible; aussi sainte Thérèse définissait-elle le diable, le malheureux qui ne sait point aimer.


a Ces quatre derniers vers sont tirés des Œuvres posthumes, t. IX, p. 65.

b Voyez ci-dessus, p. 295, 334 et 343, et plus bas, p. 351. Nous n'avons pu réussir à nous procurer la correspondance de Frédéric avec le duc d'Aremberg.

a Allusion aux relations de Louis XV avec la comtesse Louise-Julie de Mailli-Nesle. Voyez t. XII, p. 68, et t. XVII, p. 36.