<31>mais eu et que je n'en devrais avoir. Ce serait à moi de désirer le sien. Je vous avoue que les charmes de son esprit m'ont fait oublier sa matière. Vous trouverez peut-être que c'est penser trop philosophiquement à mon âge; mais vous pourriez vous tromper. L'éloignement de l'objet et l'impossibilité de le posséder peuvent y avoir autant de part que la philosophie. Elle ne doit pas nous rendre insensibles, ni empêcher d'avoir le cœur tendre; elle ferait, en ce cas, plus de mal que de bien aux hommes.

Il semble en effet que quelque démon familier se soit abouché avec tous les gazetiers de Hollande pour leur faire écrire unanimement que vous m'êtes venu voir. J'en ai été informé par la voix publique, ce qui me fit d'abord douter de la vérité du fait. Je me dis que vous ne vous serviriez pas des gazetiers pour annoncer votre voyage, et que, en cas que vous me fissiez le plaisir de venir en ce pays-ci, j'en aurais des nouvelles plus intimes. Le public me croit plus heureux que je ne le suis. Je me tue de le détromper. Je me sens d'ailleurs fort obligé au gazetier d'effectuer en idée ce qu'il juge très-bien qui peut m'être infiniment agréable.

Quoique vous n'ayez en aucune manière besoin de vous perfectionner par de nouvelles études dans la connaissance des sciences, je crois que la conversation du fameux M. s'Gravesande pourra vous être fort agréable. Il doit posséder la philosophie de Newton dans la dernière perfection. M. Boerhaave ne vous sera pas d'un moindre secours pour le consulter sur l'état de votre santé. Je vous la recommande, monsieur. Outre le penchant que vous vous sentez naturellement pour la conservation de votre corps, ajoutez, je vous prie, quelque nouvelle attention à celle que vous avez déjà, pour l'amour d'un ami qui s'intéresse vivement à tout ce qui vous regarde. J'ose vous dire que je sais ce que vous valez, et que je connais la grandeur de la perte que tout le monde ferait en vous : les regrets que l'on donnerait à vos cendres seraient inutiles et superflus pour ceux qui les sentiraient. Je prévois ce malheur, et je le crains : mais je voudrais le différer.

Vous me ferez beaucoup de plaisir, monsieur, de m'envoyer vos nouvelles productions. Les bons arbres portent toujours de bons fruits. La Henriade et vos ouvrages immortels me répondent