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241. DE VOLTAIRE.

Lunéville, 18 août 1749.

J'ai reçu vos vers très-plaisants
Sur notre triste Académie.
Nos Quarante sont fort savants;
Des mots ils sentent l'énergie,
Et de prose et de poésie
Ils donnent des prix tous les ans;
Ils font surtout des compliments;
Mais aucun n'a votre génie.

V. M. pense bien que j'ai plus d'envie de lui faire ma cour qu'elle n'en a de me souffrir auprès d'elle. Croyez que mon cœur a fait très-souvent le voyage de Berlin, tandis que vous pensiez qu'il était ailleurs. Vous avez excité la crainte, l'admiration, l'intérêt, chez les hommes. Permettez que je vous dise que j'ai toujours pris la liberté de vous aimer. Cela ne se dit guère aux rois; mais j'ai commencé sur ce pied-là avec V. M., et je finirai de même. J'ai bien de l'impatience de voir votre Lutrin, ou votre Batrachomyomachie homérique sur M. de Valori.

Mais un ministre d'importance,
Envoyé du Roi Très-Chrétien,
Et sa bedaine et sa prestance,
Le courage du Prussien,
La fuite de l'Autrichien,
Que votre active vigilance
A cinq fois battu comme un chien;
Tout ce grand fracas héroïque,
Vos aventures, vos combats,
Ont un air un peu plus épique
Que les grenouilles et les rats
Chantés par ce poëte unique
Qu'on admire, et qu'on ne lit pas.

V. M., en me parlant des maréchaux de Belle-Isle et de Saxe, dit qu'il faut que chacun fasse son métier; vraiment, Sire, vous en parlez bien à votre aise, vous qui faites tant de métiers à la