<292>Je conçois très-bien qu'Alexandre, nommé général des Grecs, n'ait point eu plus de scrupule d'avoir tué des Persans à Arbèles que V. M. n'en a eu d'avoir envoyé quelques impertinents Autrichiens dans l'autre monde. Alexandre faisait son devoir en tuant des Persans à la guerre; mais certainement il ne le faisait pas en assassinant son ami après souper.

Au reste, il s'en faut beaucoup que l'ouvrage soit achevé. Je profite déjà des remarques dont vous daignez m'honorer. Je supplierai V. M. de vouloir bien me le renvoyer avant qu'elle parte pour la Silésie.a Il est difficile de définir la vertu, mais vous la faites bien sentir. Vous en avez, donc elle existe; or, ce n'est pas la religion qui vous la donne; donc vous la tenez de la nature, comme vous tenez d'elle votre rare esprit, qui suffit à tout, et devant lequel mon âme se prosterne.

Je remercie V. M. autant que je l'admire.

308. DU MÊME.

Potsdam, 5 septembre 1752.

Sire, votre pédant en points et en virgules, et votre disciple en philosophie et en morale, a profité de vos leçons, et met à vos pieds la Religion naturelle,b la seule digne d'un être pensant. Vous trouverez l'ouvrage plus fort et plus selon vos vues. J'ai suivi vos conseils; il en faut à quiconque écrit. Heureux qui peut en avoir de tels que les vôtres! Si vos bataillons et vos escadrons vous laissent quelque loisir, je supplie V. M. de daigner lire avec attention cet ouvrage, qui est en partie l'exposition de vos idées, et en partie celle des exemples que vous donnez au monde. Il serait à souhaiter que ces opinions se répandissent de plus en


a Frédéric partit de Berlin le 1er septembre.

b Cet ouvrage, en quatre chants, a été intitulé plus tard Poëme sur la Loi naturelle. Il se trouve dans les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XII, p. 143-182. Voyez aussi notre t. XX, p. 74 et 75.