<166>invité à son camp de Moravie, non pas pour nous battre comme autrefois, mais pour vivre en bons voisins. Ce prince est aimable et plein de mérite. Il aime vos ouvrages, et les lit autant qu'il peut; il n'est rien moins que superstitieux. Enfin c'est un empereur comme de longtemps il n'y en a eu en Allemagne. Nous n'aimons ni l'un ni l'autre les ignorants et les barbares; mais ce n'est pas une raison pour les extirper; s'il fallait les détruire, les Turcs ne seraient pas les seuls. Combien de nations plongées dans l'abrutissement et devenues agrestes, faute de lumières!

Mais vivons, et laissons vivre les autres. Puissiez-vous surtout vivre longtemps, et ne point oublier qu'il est des gens, dans le nord de l'Allemagne, qui ne cessent de rendre justice à votre beau génie!

Adieu; à mon retour de Moravie, je vous en dirai davantage.

423. DE VOLTAIRE.

Ferney, 20 août 1770.

Sire, le philosophe d'Alembert m'apprend que le grand philosophe de la secte et de l'espèce de Marc-Aurèle, le cultivateur et le protecteur des arts, a bien voulu encourager l'anatomie, en daignant se mettre à la tête de ceux qui ont souscrit pour un squelette. Ce squelette possède une vieille âme très-sensible; elle est pénétrée de l'honneur que lui fait V. M. J'avais cru longtemps que l'idée de cette caricature était une plaisanterie; mais puisque l'on emploie réellement le ciseau du fameux Pigalle,a et que le nom du plus grand homme de l'Europe décore cette entreprise de mes concitoyens, je ne sais rien de si sérieux. Je m'humilie, en sentant combien je suis indigne de l'honneur que l'on me fait, et je me livre en même temps à la plus vive reconnaissance.

L'Académie française a inscrit dans ses registres la lettre dont vous avez honoré M. d'Alembert à ce sujet.b J'ai appris tout cela


a Voyez t. VII, p. 40; t. XIII, p. 46; et t. XIX, p. 438.

b Lettre de Frédéric à d'Alembert, du 28 juillet 1770.