<328>Il n'appartient qu'à votre grandeur d'âme et à votre génie d'honorer hautement de votre bienveillance un officier très-sage, très-brave et très-utile, indignement persécuté par les plus lâches et les plus barbares de tous les hommes. Vous êtes fait pour donner des exemples non seulement aux Velches, mais à l'Europe entière.

J'attends les ordres de V. M.; j'ose espérer qu'ils consoleront ma décrépitude, et que mes cheveux blancs ne descendront point avec amertume dans le tombeau, comme dit l'autre.a

518. A VOLTAIRE.

Le 10 mai 1775.

Vous ne m'accuserez pas de lenteur à vous envoyer la consultation de nos jurisconsultes; c'est eux qui m'ont lanterné jusqu'à ce moment, que je reçois enfin leur docte décision. Si notre justice est si lente, à quoi ne faudra-t-il pas s'attendre du parlement de Paris? Ni vous, ni moi, ni Morival, ne vivrons assez longtemps pour voir la fin de cette affaire.

Le parti le plus sûr sera d'y renoncer, faute de pouvoir amollir les cœurs de roche de ces juges iniques. Je crois que le fanatisme et la superstition ont eu moins de part à cette boucherie d'Abbeville que l'opiniâtreté. Il y a des gens qui veulent toujours avoir raison, et qui se laisseraient plutôt lapider que de reconnaître l'excès où leur précipitation les a fait tomber.

A présent, on ne pense à Paris qu'au sacre de Reims; y eût-il mille d'Étallonde, on ne les écouterait pas. On a les yeux sur les otages de la sainte ampoule; on veut savoir qui portera la couronne, qui le sceptre, qui le globe, et qui, le soir, le bougeoir du Roi; ce sont des choses bien plus attrayantes que de justifier un innocent. Vos conseillers de grand'chambre penseront ainsi; et Voltaire, le protecteur de l'innocence sans pouvoir la sauver,


a Genèse, chap. XLII, v. 38, et chap. XLIV, v. 29.