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355. AU MÊME.

Landeshut, 18 avril 1759.

Vos lettres m'ont été rendues sans que hussards, ni Français, ni autres barbares, les aient ouvertes. L'on peut écrire tout ce que l'on veut, et très-impunément, sans avoir cent soixante mille hommes, pourvu qu'on ne fasse rien imprimer. Et souvent on fait imprimer des choses plus fortes que je n'en ai jamais écrit ni n'en écrirai, sans qu'il en arrive le moindre mal à l'auteur; témoin votre Pucelle. Pour moi, je n'écris que pour me dissiper.

Tout homme qui n'est pas né Français, ou habitué depuis longtemps à Paris, ne saurait posséder la langue au degré de perfection si nécessaire pour faire de bons vers ou de la prose élégante. Je me rends assez de justice sur ce sujet, et je suis le premier à apprécier mes misères à leur juste valeur; mais cela m'amuse et me distrait; voilà le seul mérite de mes ouvrages. Vous avez trop de connaissances et trop de goût pour applaudir à d'aussi faibles talents.

L'éloquence et la poésie demandent toute l'application d'un homme; mon devoir m'oblige de m'appliquer à présent, et très-sérieusement, à autres choses. En considérant tout cela, vous devez avouer que des amusements aussi frivoles ne doivent entrer en aucune considération.

Je ne me moque de personne; mais je me sens piqué contre des ennemis qui veulent m'écrasera autant qu'il est en eux. Et certainement je ne suis pas condamnable d'employer toutes les armes de mon arsenal pour me défendre et pour leur nuire. Après l'acharnement cruel qu'ils ont témoigné contre moi, il n'est plus temps de les ménager.

Je vous félicite d'être encore gentilhomme ordinaire du Bien-Aimé. Ce ne sera pas sa patente qui vous immortalisera; vous ne devrez votre apothéose qu'à la Henriade, à l'Œdipe, à Brutus, Sémiramis, Mérope, le Duc de Foix, etc., etc. Voilà ce qui fera votre réputation tant qu'il y aura des hommes sur la terre qui


a Voyez t. XII, p. 11 et 84.