<383>Cluny.a En tout cas, vous ne garderez pas longtemps votre abbé. Mais je m'intéresse peu à ce dernier, et beaucoup au sort du prétendu moine.

Me voici de retour de la Silésie, où j'ai fait l'économe, comme vous à Ferney. J'ai bâti des villages, défriché des marais, établi des manufactures, et rebâti quelques villes brûlées. Il s'est présenté à Breslau un M. de Ferrière, ingénieur du Cabinet; il prétend vous connaître; il sait sans doute que cela vaut une recommandation auprès de moi. Il a été employé en Alsace, il a servi en Corse; actuellement il est à la suite de M. de Breteuil,b à Vienne. Vous l'aurez vu, et peut-être oublié, car, parmi ce peuple innombrable qui se présente à votre cour, des passe-volants doivent vous échapper. Des imbéciles faisaient autrefois des pèlerinages à Jérusalem ou à Lorette; à présent, quiconque se croit de l'esprit va à Ferney, pour dire, en revenant chez soi : Je l'ai vu.

Jouissez longtemps de votre gloire, marquis de Ferney, moine de Cluny, ou intendant du pays de Gex, sous quel titre il vous plaira; mais n'oubliez pas qu'au fond de l'Allemagne il est un vieillard qui vous a possédé autrefois, et qui vous regrettera toujours. Vale.

549. AU MÊME.

(Sans-Souci) 22 octobre 1776.

Voici près de deux mois qu'aucune goutte de rosée du ciel de Ferney n'est tombée sur le rivage de la Baltique; les soi-disant Muses et les habitants de notre Parnasse sablonneux dessèchent à vue d'œil, et ils seraient déjà diaphanes, si certain commentaire sur je ne sais


a On racontait que, lors de la nomination de M. de Clugny à la place de contrôleur général, Voltaire, jouant sur le mot, avait dit : Je me fais moine de Cluny. (Note de M. Beuchot, édition des Œuvres de Voltaire, t. LXX, p. 121.)

b Il est cavalier à la suite de M. de Breteuil. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 329.)