<385>pour nous deux la même minute, et que nous pourrons aller métaphysiquer ensemble là-bas; ou du moins je n'aurai pas le chagrin de lui survivre et d'apprendre sa perte, qui en sera une pour toute l'Europe. Ceci est sérieux; ainsi je vous recommande à la sainte garde d'Apollon, des Grâces, qui ne vous quittent jamais, et des Muses, qui veillent autour de vous.

550. DE VOLTAIRE.

(Ferney) 8 novembre 1776.

Sire, vous m'avez envoyé un ouvrage bien rare, car tout y est vrai. C'est au philosophe d'Alembert à remercier en vers V. M. philosophique. Hélas! ce ne sont pas mes quatre-vingt-deux ans qui m'empêchent de vous dire en vers que vous avez raison; c'est que j'éprouve depuis plus de deux mois ce que vous dites dans votre belle Épître :

Et la pourpre et la bure éprouvent le malheur;
L'un pleure sur le trône, et l'autre en sa chaumière.a

Si je ne pleure pas dans ma chaumière, attendu que je suis trop sec, j'ai du moins de quoi pleurer; messieurs de Nazareth ne rient point comme messieurs du rivage de la mer Baltique; ils persécutent les gens sourdement et cruellement; ils déterrent un pauvre homme dans sa tanière, et le punissent d'avoir ri autrefois à leurs dépens. Tous les malheurs qui peuvent accabler un pauvre homme ont fondu sur moi à la fois, procès, pertes de biens, tourments du corps, tourments de ce qu'on appelle âme; je suis absolument l'autre dans sa chaumière; mais pardieu, Sire, vous n'êtes pas l'un qui pleurez sur le trône; vous tâtâtes un moment de l'adversité, il y a bien des années; mais avec quel courage, avec quelle grandeur d'âme vous avalâtes le calice! Comme


a Voyez t. XIV, p. 113 et 252. Voyez aussi t. X, p. 58; t. XII, p. 215; et t. XIII, p. 91.