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563. AU MÊME.b

Le 11 octobre 1777.

Je suis très-persuadé que si Marc-Aurèle s'était avisé d'écrire sur le gouvernement, son ouvrage aurait été bien supérieur à ma brochure; l'expérience qu'il avait acquise en gouvernant cet immense empire romain devait être bien au-dessus des notions que peut avoir résumées un chef des Obotrites et des Vandales; et Marc-Aurèle personnellement était si supérieur par sa morale pratique aux souverains, et, j'ose dire, aux philosophes mêmes, que toute comparaison qu'on fait avec lui est téméraire. Laissons donc Marc-Aurèle, en l'admirant tous deux, sans pouvoir atteindre à sa perfection; et, en nous mettant au niveau de notre médiocrité, rabaissons-nous à la stérilité de notre siècle, qui, s'épuisant pour donner Voltaire au monde, n'a pas eu la force de lui fournir des émules.

Je vois donc que les Suisses pensent sérieusement à réformer leurs lois. Ce code carolin m'est connu; j'ai fourré le nez dans ces anciennes législations, lorsque j'ai cru nécessaire de réformer les lois des habitants des bords de la Baltique.a Ces lois étaient des lois de sang, ainsi qu'on nommait celles de Dracon; et à mesure que les peuples se civilisent, il faut adoucir leurs lois. Nous l'avons fait, et nous nous en sommes bien trouvés. J'ai cru, en suivant les sentiments des plus sages législateurs, qu'il valait mieux empêcher et prévenir les crimes que de les punir; cela m'a réussi, et, pour vous en donner une idée nette, il faut vous mettre au fait de notre population, qui ne va qu'à cinq millions deux cent mille âmes. Si la France a vingt millions d'habitants, cela fait à peu près le quart; depuis donc que nos lois ont été modérées, nous n'avons, année commune, que quatorze, tout au plus quinze arrêts de mort;b je puis vous en répondre


b Œuvres posthumes, t. IX, p. 350-354.

a Voyez t. IV, p. 1-3; t. IX, p. II et III, no II, et p. 9-37.

b Frédéric, devenu vieux, disait, à ce que prétendent les amateurs d'anecdotes, qu'il donnerait volontiers les deux petits doigts de ses mains (la victoire de Leuthen, selon d'autres) pour que son peuple fût encore aussi religieux qu'à son avènement. Il suffit de lire le passage ci-dessus, ainsi que d'autres endroits analogues et nombreux dans les Œuvres du Roi, pour se convaincre que cette anecdote est entièrement controuvée. Elle a subi diverses variations en se répétant. Il faut probablement chercher la source de cette histoire dans la Charakteristik Friedrichs des Zweiten, Königs von Preussen (par Christian Gottfried Daniel Stein), Berlin, chez Unger, 1798, t. III, p. 81, note.