366. DE VOLTAIRE.

(Aux Délices) août 1759.

Vous n'êtes pas ce fils d'un insensé,
Huilé dans Reims, et par l'Anglais pressé,
Que son Agnès si fidèle et si sage
Aima toujours, ayant tant caressé
Tantôt un moine et tantôt un beau page.
A Jeanne d'Arc vous n'avez point recours;
Son pucelage et son baudet profane,
Et saint Denis, sont de faibles secours;
Le vrai Denis, le héros de nos jours,
Je le connais, et je sais quel est l'âne.

<58>Pour la pucelle, en vérité,
Il faut que vous alliez dans Vienne,
Au tribunal de chasteté.65-a
Allez, que rien ne vous retienne;
Et retournez à Sans-Souci,
Quand, dans vos courses éternelles,
Vous aurez vu chez l'ennemi
Et des héros, et des pucelles.

Vos vers sont charmants, et, si V. M. a battu ses ennemis, ils sont encore meilleurs; mais pour votre Akakia papal, je le trouve très-adroit; il est fait de façon que les trois quarts des protestants le croiront véritable. Il y a là de quoi faire rire les gens qui ont le nez fin, et de quoi animer les sots de bonne foi de la confession in, mit, über.65-b J'attends quelques pièces édifiantes qu'un sage de mes amis doit m'envoyer d'Orient. Je les ferai parvenir à V. M.; mais j'ai peur qu'elle ne soit pas de loisir cette fin de campagne, et qu'elle soit si occupée à donner sur les oreilles aux Abares,65-c Bulgares, Roxelans, Scythes et Massagètes, qu'elle n'ait pas de temps à donner à la philosophie et à la destruction de l'infâme. Je prendrai la liberté de recommander, en mourant, cette infâme à S. M., par mon testament. Elle est plus son ennemie qu'elle ne croit. Sa pucelle et son fanatique sont quelque chose; mais cette pucelle et ce fanatique ne réformeront pas l'Occident, et Frédéric était fait pour l'éclairer. J'aurai l'honneur de lui en parler plus au long.


65-a Allusion à la Lettre de la marquise de Pompadour à la reine de Hongrie. Voyez t. XV, p. 90 et 91.

65-b Voltaire veut dire in, mit, unter; allusion à la doctrine de Luther. Voyez t. XV, p. 31.

65-c Dans ses lettres au marquis d'Argens, Frédéric désigne ses deux principaux ennemis par le nom d'Avares et d'Oursomans ou Oursomanes. Voyez t. XIX, p. 147, 217 et 218, 224 et 225, 253 et 257.