500. DE VOLTAIRE.

Ferney, 13 décembre 1774.

Sire, pendant que votre officier de Ferney dessine des montagnes et fait des plans de fortifications, le vieillard de Ferney se jette à vos pieds, et envoie à V. M. les charges énoncées contre cet officier dans le procès criminel aussi absurde qu'exécrable intenté contre lui. Ce procès est beaucoup plus atroce que celui des Calas, et rend la nation plus odieuse; car du moins les infâmes juges des Calas pouvaient dire qu'ils s'étaient trompés, et qu'ils avaient cru venger la nature; mais les singes en robes noires qui ont osé juger d'Étallonde sans l'entendre, et même sans entendre le procès, n'ont voulu venger que la plus sotte des superstitions, et se sont conduits contre les lois aussi bien que contre le sens commun.

Ce mot de religion, dont on s'est servi pour condamner l'innocence au plus horrible supplice, faisait une grande impression sur l'esprit du feu roi de France; il croyait s'attacher le clergé par ce seul mot; et même à la mort du Dauphin, son fils, il écrivit ou on lui fit écrire une lettre circulaire dans laquelle il disait qu'il n'aimait son fils que parce qu'il avait beaucoup de religion. Voilà ce qui a causé la mort du chevalier de La Barre et la condamnation de votre officier d'Étallonde. Il est à vous pour jamais, et soyez très-sûr qu'il est digne de vous appartenir.

<300>Je ne doute pas que votre ambassadeur à Paris ne continue à le recommander fortement, et je vous demande en grâce d'échauffer son zèle sur cette affaire quand vous lui écrirez. On vous respecte, on ménagera un militaire qui vous appartient, et qui n'a de roi que vous.

Je ne crois pas qu'on soit fort de vos amis, mais on peut présumer qu'on aura un jour besoin d'en être, et enfin je ne connais point de pays au monde où votre nom ne soit très-puissant. Il m'est sacré; je mourrai en le prononçant.

J'ose me flatter que V. M. voudra bien me laisser d'Étallonde Morival jusqu'à ce que le respect qu'on vous doit termine heureusement cette affaire affreuse.