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66. A D'ALEMBERT.

(Berlin) 4 janvier 1770.

Le Nord, M. Protagoras, est plus tranquille que vous ne le croyez; c'est l'Orient où règnent le trouble, la guerre et la confusion. Nous autres, qu'on appelle les vieillards de l'Europe, nous sommes trop pesants pour tracasser comme certaine nation du Sud qu'on appelle les Velches. Cette nation gentille fourre son nez partout, souvent où elle n'a que faire, et porte l'inquiétude qui la dévore d'un bout du globe à l'autre. Elle croit qu'en la communiquant elle diminuera la portion qui lui en est échue, et qu'elle en deviendra moins agitée; mais c'est peine perdue, dit-on, et pour la rendre plus tranquille (je n'ose pas dire plus sage), il faudrait exorciser le démon qui la possède, selon ce que m'assura en dernier lieu un théologien grave avec lequel je m'entretins sur mon salut. Je laisse le puîné dans la catégorie où vous le rangez avec le roi des Sarmates; jamais concile ne l'a accouplé de tel compagnon. Quelque peu de crédit qu'ils aient à présent, leur tour pourra revenir; si le destin le veut, ils reprendront faveur, et feront fortune. Ce monsieur ... est encore jeune; il est comme le duc de Lauraguais;a à force de faire des sottises, il deviendra sage. Sa naissance n'est constatée que depuis quinze cents ans; vous voyez qu'il est encore dans l'enfance. Dieu sait combien de milliers d'années se sont écoulées avant que son vieux papa parvînt à s'accréditer et à jouir de la considération qu'il a présentement. Le temps fait tout; il produit, il exhausse, il abaisse, il relève les dieux et les hommes. Fions-nous-en à lui, mon cher d'Alembert, et M. le chevalier trouvera à son tour le moment de briller.

En attendant, ma famille s'amuse à faire des enfants; c'est un bon remède pour l'oisiveté, et qui est en son lieu quand on


a En 1764, Diane-Adélaïde de Mailly-Nesle, duchesse de Lauraguais, l'une des maîtresses de Louis XV, plaidait en séparation contre son mari. Les lettres de Voltaire au maréchal de Richelieu, du 21 juillet 1764, et au marquis de Villette, du 1er septembre 1765, font supposer que c'est de ce même duc de Lauraguais que le Roi fait ici mention.