<472>pèce est capable ne peut résider que dans la moindre partie d'une nation, que le reste n'en est pas susceptible, et que les systèmes merveilleux prévaudront par conséquent toujours sur le grand nombre. Ces considérations me portent donc à croire que la crédulité, la superstition et la crainte timorée des âmes faibles l'emportera toujours dans la balance du public, que le nombre des philosophes sera petit dans tous les âges, et qu'une superstition quelconque dominera l'univers. La religion chrétienne était une espèce de théisme dans le commencement; elle naturalisa bientôt les idoles et les cérémonies païennes, auxquelles elle accorda l'indigénat, et à force de broderies nouvelles, elle couvrit si bien l'étoffe simple qu'elle avait reçue dans son institution, qu'elle devint méconnaissable. L'imperfection, tant en morale qu'en physique, est le caractère de ce globe que nous habitons; c'est peine perdue d'entreprendre de l'éclairer, et souvent la commission est dangereuse pour ceux qui s'en chargent. Il faut se contenter d'être sage pour soi, si on peut l'être, et abandonner le vulgaire à l'erreur, en tâchant de le détourner des crimes qui dérangent l'ordre de la société. Fontenelle disait très-bien que s'il avait la main pleine de vérités, il ne l'ouvrirait pas pour les communiquer au public, parce qu'il n'en valait pas la peine; je pense à peu près de même, en faisant des vœux pour le philosophe Diagoras,a et priant Dieu de l'avoir en sa sainte garde.

68. DE D'ALEMBERT.

Paris, 29 janvier 1770.



Sire,

La lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire en date du 4 de ce mois, et le mémoire qui y était joint, ne me sont parvenus qu'avant-hier, 27 du même mois; je ne sais par quelle fatalité ce paquet a été si longtemps en route, et je ne prends la liberté d'entrer dans ce détail qu'afin que V. M. ne me soupçonne point de négligence. Je n'ai pas, en effet, perdu un moment pour lire cet excellent mémoire; et je puis, Sire, assurer avec vérité à V. M. que je suis absolument de son avis sur les principes qui doivent servir de base à la morale. Si V. M. veut prendre la peine de jeter les yeux sur


a Voyez le Dictionnaire historique et critique de Bayle, article Diagoras, surnommé l'Athée.