<515>traces visibles d'intelligence. Je ne le nie pas; mais je voudrais savoir ce que cette intelligence est devenue depuis que ces corps sont construits. Si elle résidait en eux pendant qu'ils se formaient, si elle y résidait pour les former, et si, comme on le suppose, cette intelligence n'est point un être distingué d'eux, qu'est-elle devenue depuis que sa besogne est faite? La perfection de l'organisation l'a-t-elle anéantie, quoiqu'elle ait été nécessaire pour les progrès et l'achèvement de l'organisation? Cela paraît difficile à concevoir. D'ailleurs, si dans l'homme cette intelligence dont nous admirons les effets et les productions est une suite de l'organisation seule, pourquoi n'admettrions-nous pas dans les autres parties de la matière une structure et une disposition aussi nécessaire et aussi naturelle que la matière même, et de laquelle il résulte, sans qu'aucune intelligence s'en mêle, ces effets que nous voyons, et qui nous surprennent? Enfin, en admettant cette intelligence qui a présidé à la formation de l'univers, et qui préside à son entretien, on sera obligé de convenir au moins qu'elle n'est ni infiniment sage, ni infiniment puissante, puisqu'il s'en faut bien, pour le malheur de la pauvre humanité, que ce triste monde soit le meilleur des mondes possibles. Nous sommes donc réduits, avec la meilleure volonté du monde, à ne reconnaître et n'admettre tout au plus dans l'univers qu'un Dieu matériel, borné et dépendant. Je ne sais pas si c'est là son compte, mais ce n'est sûrement pas celui des partisans zélés de l'existence de Dieu; ils nous aimeraient autant athées que spinozistes comme nous le sommes. Pour les adoucir, faisons-nous sceptiques, et répétons avec Montaigne : Que sais-je?

Je vais à présent, Sire, suivre V. M. de ténèbres en ténèbres, puisque j'ai l'honneur d'y être enfoncé avec elle jusqu'au cou et même par-dessus la tête, et je viens à la question de la liberté. Sur cette question, Sire, il me semble que dans le fond je suis d'accord avec V. M. Il ne s'agit que de bien fixer l'idée que nous attachons au mot de liberté. Si on entend par là, comme il paraît que V. M. l'entend, l'exemption de contrainte et l'exercice de la volonté, il est évident que nous sommes libres, puisque nous agissons en nous déterminant nous-mêmes de plein gré et souvent avec plaisir; mais cette détermination n'en est pas moins