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14. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Potsdam, 16 novembre 1763.



Madame ma sœur,

J'ai eu la satisfaction de recevoir deux lettres de Votre Altesse Royale et Électorale. Pour la première, madame, qui regarde les bouffons, je vous répondrai sans peine. Quoique leur jeu me paraisse excessivement outré, je les garderai, madame, jusqu'à ce qu'ils trouvent à se placer ailleurs. Pour la seconde lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire, la matière est délicate, et le sujet embarrassant. Si j'avais, madame, des couronnes à donner, je placerais la première sur votre tête, comme très-digne de la porter. Mais, madame, je suis bien loin d'être dans cette position-là. Je sors d'une guerre affreuse, que mes ennemis m'ont faite avec un acharnement qui a peu d'exemples; je tâche de cultiver l'amitié de tous mes voisins, et de ne me brouiller avec personne. Au sujet des affaires de Pologne, une impératrice que je dois ménager, et à laquelle j'ai de grandes obligations, exige de moi d'entrer dans ses mesures; vous, madame, que je voudrais complaire, si je le pouvais, vous voudriez, madame, que je fasse changer de sentiments à cette impératrice. Daignez, de grâce, entrer dans mon embarras. V. A. É. apprendra par le sieur de Sacken, lorsqu'il sera arrivé à Pétersbourg, quels sont les sentiments de l'impératrice de Russie. Mais, selon tout ce que j'apprends de ce pays-là, il me paraît que les résolutions sont toutes prises, et que même l'Impératrice est résolue à soutenir le parti de ses partisans en Pologne avec les forces qu'elle a toutes prêtes sur les frontières. Pour moi, madame, je voudrais, si cela était possible, ne me point engager dans toute cette affaire, qui jusqu'à présent n'est pas compliquée, mais qui d'un jour à l'autre peut le devenir, par la part trop vive que des voisins de la Pologne pourront y prendre; prêt à donner d'ailleurs, dans toutes les occasions, des marques à V. A. É. de la haute estime avec laquelle je suis, etc.