<562>citoyens ont droit également à la protection de la société et à la conservation de l'existence morale que la satire leur ôte, ou veut leur ôter. A l'égard des ouvrages de toute espèce, littérature, philosophie, matières même de gouvernement et d'administration, je pense que la liberté d'écrire sur ces sujets, de critiquer même, doit être pleine et entière, pourvu néanmoins, Sire, que la satire en soit bannie, parce que, encore une fois, le but de la liberté de la presse doit être d'éclairer, et non d'offenser. Mais il est temps de réprimer moi-même la liberté de ma plume, en désirant à V. M. une pleine délivrance et de la goutte, et de la guerre, et en lui renouvelant les assurances des sentiments d'admiration, de reconnaissance éternelle et du plus profond respect avec lesquels je suis, etc.

111. A D'ALEMBERT.

7 avril 1772.

Je ne sais par quel hasard il se rencontre toujours des obstacles quand il s'agit de répondre à vos lettres. Tantôt la goutte me tenait garrotté sur le grabat; ensuite c'était le séjour de la reine douairière de Suède et de la duchesse de Brunswic qui m'ont empêché de vous écrire. Vous n'y perdez pas grand' chose; au contraire, vous y gagnez de n'être pas assommé d'un fatras de mauvais vers. Voici encore un chant de ce poëme, que je vous envoie; j'espère que, rempli d'une vertu narcotique, il vous tiendra lieu des pavots que Morphée vous refuse. Nous autres Allemands, comme l'a très-bien dit le bon père Bouhours, nous ne sommes guère propres à la poésie, encore moins au poëme épique. Nous n'avons que l'instinct grossier du bon sens, et notre Pégase n'a point d'ailes. Je pourrais vous dire ce que van Haarena ré-


a Guillaume van Haaren, le Tyrtée hollandais, né à Leeuwarden en 1713, mort en 1768. Voltaire lui adressa, en 1743, trois stances qui se trouvent dans le tome XII, p. 520 de ses Œuvres, édit. Beuchot.