<566>part qui me revient de cette gloire ou de cette honte est si petite, que je ne cours pas après, et que j'en fais les honneurs à qui voudra. Comme je n'ai pas l'avantage ou le malheur d'être ni ministre, ni général, je les laisse jouir en paix de ce qu'ils font; je ne prétends rien ni aux lauriers qu'ils cueillent, ni aux coups d'étrivières qu'ils reçoivent; et quelque chose qui leur arrive, je ne leur dirai jamais : J'en retiens part, comme disent les mendiants aux gueux de leur espèce qui trouvent et ramassent quelques guenilles dans la rue.

Au reste, j'avouerai, Sire, que le plaisir que me donnent vos vers et votre prose, quelque grand qu'il soit, n'est pas plus vif que celui que je ressens à un article de la lettre que V. M. m'a fait l'honneur de m'écrire. Elle m'y annonce la paix comme prochaine. Toute l'Europe en fait l'honneur à V. M., et cette circonstance de sa vie n'en sera pas la moins glorieuse.

Le poëme du pauvre Helvétius sur le Bonheur est resté imparfait à sa mort. Cependant on assure qu'il sera imprimé, même dans cet état d'imperfection. On dit même qu'il est actuellement sous presse en Hollande; V. M. pourra aisément en savoir la vérité.

Depuis un mois, j'ai acquis, Sire, une dignité nouvelle, celle de secrétaire de l'Académie française; cette place demande plus d'assiduité que de travail; les émoluments en sont d'ailleurs très-peu de chose, et j'ajoute, les dégoûts et les désagréments assez grands dans les circonstances présentes, où la littérature est plus opprimée et plus persécutée parmi nous que jamais.

Je ne ferai point à V. M. le détail des traverses de tout genre que la philosophie et les lettres essuient; ce détail ne ferait que l'affliger, puisqu'elle ne peut y apporter de remède; elle se contente de protéger dans ses États les sciences et les arts, de gémir sur le sort qu'ils éprouvent ailleurs, et d'encourager par ses leçons et par son exemple ceux qui les cultivent. Au reste, pourquoi les sages se plaindraient-ils de leur sort? Ils liront le beau morceau qui commence le cinquième chant de votre poëme, sur le malheur commun à tous les états; ils jetteront les yeux sur tout ce qui les environne, et ils répéteront ce beau vers de V. M. :