<576>souhaite encore plus que je ne l'espère. Mais, de quelque manière que V. M. pense à ce sujet, j'ai lieu de croire que cet ouvrage lui inspirera de l'estime pour l'auteur, qui serait infiniment flatté que V. M. voulût bien l'en assurer elle-même. Il mérite d'autant plus, Sire, de recevoir de vous cette marque flatteuse de bonté, qu'il est presque aujourd'hui la seule personne distinguée par sa naissance, dans ce malheureux royaume, qui aime vraiment les lettres et ceux qui les cultivent. Ah! Sire, que ces lettres infortunées ont besoin de conserver longtemps un protecteur tel que vous! Il y a longtemps, à dater du ministère du cardinal de Fleury, et même de plus loin, qu'elles sont en France sans encouragement et sans considération. Aujourd'hui on fait plus, on les hait, et il n'y a pas un homme en place qui ne soit leur ennemi secret ou déclaré. V. M., qui a eu la bonté de me marquer sa satisfaction de ma nouvelle et très-mince dignité de secrétaire de l'Académie française, ne peut pas s'imaginer toutes les intrigues qu'on a fait jouer pour m'en écarter. Il s'en faut bien que j'aie eu l'unanimité des suffrages; j'avais contre moi tous nos académiciens de cour et d'Église, c'est-à-dire près d'un tiers. Mais ce qui me console et me flatte, parce qu'enfin il est agréable d'être jugé par ses pairs, j'avais pour moi tous mes confrères les gens de lettres, excepté un seul, qui est prêtre et dévot politique; et un habitant de Versailles m'a assuré que, malgré la pluralité des suffrages, j'aurais eu l'exclusion de la part de la cour, si les marques de bonté et d'estime que j'ai reçues des étrangers, et surtout de V. M., n'avaient été ma sauvegarde. Ce n'est pas la première fois, Sire, que j'ai éprouvé combien je dois aux bontés de V. M. pour me mettre à l'abri de la persécution dans mon propre pays. Le maréchal de Richelieu, le plus acharné ennemi des lettres, de la philosophie, et de toute espèce de mérite, cet homme si gratuitement célébré par le philosophe de Ferney, était à la tête de la cabale; outré de n'avoir pu réussir, il s'en est vengé sur le pauvre Delille, auteur des Géorgiques, qu'il a fait exclure de l'Académie, quoiqu'il eût eu presque l'unanimité des suffrages, et qu'il soit aussi estimable par son caractère et par sa conduite que par ses talents. Il est bien flatté, Sire, et bien honoré du désir que V. M. lui témoigne de voir une traduction