« <604>les ressorts; mais l'art de les faire mouvoir est un secret dont le génie seul a la clef; je ne trouverai qu'ici celui à qui la nature a donné ce secret; et malheureusement pour le roi de Perse mon maître, il ne saurait l'avoir pour général. »a

Je ne dois pas oublier, Sire, de prévenir V. M. que M. de Guibert, en venant auprès d'elle admirer et s'instruire, désire surtout d'effacer jusqu'aux plus légères traces du reproche qu'une phrase de son livre a mérité de votre part.b Il rend justice, avec toute l'Europe, à la valeur si généralement reconnue des troupes prussiennes, et serait d'autant plus honteux de penser autrement, qu'il se verrait seul de son avis. Cependant il osera dire à V. M., dût-il courir le risque d'être contredit par elle, qu'il croit que les succès de ces braves troupes sont encore moins dus à leur courage qu'à la supériorité des talents qui l'ont dirigé; il osera même ajouter, peut-être encore au risque de vous déplaire, qu'il est persuadé que nos pauvres Velches, tout pauvres Velches qu'ils se sont montrés à Rossbach, auraient été vainqueurs, s'ils avaient seulement changé de général avec les Prussiens. La géométrie, Sire, qui ne se connaît pas en manœuvres de guerre, mais qui se connaît en calcul, prendrait la liberté de parier ici pour M. de Guibert; et après avoir gagné le pari, comme elle ose s'en flatter, elle répéterait aux Velches le mot de Louis XIV au duc de Vendôme, vainqueur à Villaviciosa :a « Il n'y avait pourtant qu'un homme de plus. » Je suis, etc.


a L'anecdote fictive racontée ici est un voile transparent sous lequel d'Alembert adresse des compliments à Frédéric; Arbèles signifie Rossbach.

b Voyez ci-dessus, p. 633.

a Louis-Joseph duc de Vendôme, petit-fils de Henri IV, remporta cette victoire sur le comte de Starhemberg le 10 décembre 1710.