<626>les transports, et les extases, et les convulsions qu'éprouve l'âme d'un petit-maître français; son sang est du vin de Champagne mousseux, ses nerfs sont plus fins que des toiles d'araignées, son sensorium est aussi facile à ébranler qu'une girouette au souffle du zéphyr. C'est à de tels juges qu'il faut offrir du beau, de l'élégant, du parfait, et non à des masses à demi animées.

Notre Académie ne doit pas être rangée sous cette catégorie; elle est composée d'étrangers qui ont le droit de penser, et qui peuvent avoir quelques prétentions modestes à l'esprit. Votre M. de la Grange brille par des choses admirables, des a plus b auxquels je n'entends goutte, ni le roi de Sardaigne non plus. Je ne sais si ce dernier se livre à présent à la dévotion transcendante et mystique; au moins, étant encore duc de Savoie, il n'y pensait pas. Je le plains, c'est tout ce que je puis faire; car la grande dévotion ou des transports au cerveau sont, à mon sens, des synonymes, si la dévotion n'est pas pire, car elle reste, et les transports se perdent aussitôt que la fièvre est calmée. Mais pour en revenir à notre Académie, je ne doute pas qu'elle n'accepte avec plaisir le nouveau confrère que vous lui offrez; il leur sera proposé, et, muni de votre recommandation, l'Académie aurait aussi mauvaise grâce à le refuser que si Charles XII eût rejeté un officier approuvé par le grand Condé. Voilà tout ce que vous aurez pour cette fois d'un valétudinaire qui, tant que durera son existence, s'intéressera au sort et à la prospérité de l'Anaxagoras moderne. Sur ce, etc.

140. DE D'ALEMBERT.

Paris, 1er juillet 1774.



Sire,

La dernière fois que Votre Majesté me fit l'honneur de m'écrire, elle était près de partir pour toutes ses revues. Je les crois finies actuellement, et V. M. de retour dans sa retraite philosophique, où je viens un moment la troubler pour lui renouveler mes profonds respects et ma vive reconnaissance.

Il s'est passé chez nous un grand événement depuis la dernière lettre que j'ai eu l'honneur d'écrire à V. M. Nous en attendons les suites politiques, civiles, morales, littéraires, philosophiques, et surtout économiques. On nous en promet beaucoup, et c'est de quoi nous avons le plus de besoin. L'inoculation du Roi et de la famille royale, à laquelle on était bien éloigné de s'attendre il y a un mois, prouve que la raison est écoutée, et donne tout à la fois bon espoir et bon exemple. Qu'on nous préserve de la guerre, des fanatiques et des fripons, et tout ira bien.

Je ne pense pas qu'on redemande jamais de France des jésuites à V. M. Je plains bien l'Allemagne catholique de n'avoir pas mieux que ces intrigants ignorants pour l'instruction de la jeunesse. V. M. ne me rend pas justice, si elle croit que j'ai du fiel contre eux. Personne au contraire ne s'est élevé avec plus