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22. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Potsdam, 26 a avril 1764.



Madame ma sœur,

Votre Altesse Royale n'a pas besoin envers moi de baguette ou d'enchantements; je vous obéis, madame, sans qu'il soit nécessaire d'un pouvoir surnaturel pour me contraindre. Cet hommage vous est personnel, et vous vous l'attirerez, madame, de tous ceux qui auront le bonheur de vous approcher, de vous entendre et de vous admirer. Si quelque pouvoir surnaturel me retient dans des chaînes invisibles, c'est un torrent qui entraîne, et auquel apparemment mes forces ne sauraient résister; et si j'osais, madame, vous citer un auteur aussi grave que l'Arioste, je pourrais en apporter un nombre d'exemples. Mais en vérité l'Arioste n'a que faire dans cette lettre; les féeries politiques sont un peu plus sérieuses que les jeux d'imagination de cet aimable poëte, et un preux chevalier, transporté par l'hippogriffe à cent milles par les airs, ne manque pourtant pas, à la fin du poëme, de se retrouver auprès de la beauté qui a captivé son cœur. Il en est de même des combats de l'Arioste; ils font rire, au lieu qu'il n'y a que des larmes à répandre pour ceux que la politique fait livrer.

Je me trouve fort heureux de penser sur la paix comme V. A. R. Je vous assure, madame, que tous mes vœux et mes démarches tendent à la maintenir, et il y a lieu de croire que cela arrivera, pourvu que les puissances ne veuillent pas se roidir contre un projet dont il me paraît qu'une certaine puissance ne se départira jamais. La guerre, madame, est un fléau qui les rassemble tous, et qui ne doit jamais se faire que pour ramener et consolider la paix. Il me semble que l'Europe doit être rassasiée de combats et de meurtres; il est bien temps que la paix se maintienne pour guérir toutes les plaies et les désolations dont tant d'États souffrent, et pour que, à l'ombre des lois, les na-


a Potsdam, 25 avril 1764. (Variante du manuscrit conservé aux Archives de l'État, à Berlin.)