<85>coup d'autres) que ces insulaires très-insolents ne viendront pas à bout de leurs colonies; et j'avoue que je ne serais pas fâché de leur voir subir cette humiliation, qu'ils ont bien méritée par leurs sottises. Il ne paraît pas cependant qu'ils veuillent y renoncer, et s'ils tentent encore, comme il y a apparence, une nouvelle campagne, notre pauvre France aura vraisemblablement encore un an à respirer; car je ne doute pas qu'ils ne lui déclarent la guerre le plus tôt qu'ils pourront, et je souhaite, plus que je ne le crois, que nous soyons en état de la soutenir.

Grimm est en effet à Stockholm, à la suite du roi de Suède; je sais qu'il se propose d'aller à Berlin, et peut-être aura-t-il déjà fait sa cour à V. M. C'est le seul bonheur que je lui envie, et dont je ne veux pas désespérer encore; c'est la seule idée flatteuse qui me reste, et que j'aime au moins à nourrir, si ma frêle machine ne me permet pas de la réaliser.

Je viens à présent, Sire, à l'excellent Rêve dont V. M. m'a fait part. Que de gens, Sire, et que de princes même tout éveillés, qui ne pensent pas comme V. M. rêve! Hélas! pour le malheur de la pauvre espèce humaine, ce rêve ne l'est pas assez, et tout ce qui en est l'objet n'est que trop réel. En parcourant dans ce rêve toutes les sottises humaines, et en voyant avec quel agrément elles y sont persiflées, j'ai dit le vers de la comédie,

On ne peut s'empêcher d'en pleurer et d'en rire,a

Je prendrai, à cette occasion, la liberté de faire une représentation à V. M.; elle a pour objet le progrès des lumières philosophiques, qui va si lentement malgré vos efforts et surtout votre exemple. Vous avez, Sire, dans votre Académie, une classe de philosophie spéculative, qui pourrait, étant dirigée par V. M., proposer pour sujets de ses prix des questions très-intéressantes et très-utiles, celle-ci, par exemple : S'il peut être utile de tromper le peuple?b Nous n'avons jamais osé, à l'Académie française,


a Les Folies amoureuses, par Regnard, acte II, scène VI.

b D'Alembert avait déjà indiqué cette question au Roi, dans ses lettres du 18 décembre 1769, du 9 mars et du 30 avril 1770. Voyez, t. XXIV, p. 517 et suivantes, ces lettres et les réponses de Frédéric, du 8 janvier et du 3 avril 1770. Voyez aussi la lettre de celui-ci à Voltaire, du 8 avril 1776, t. XXIII, p. 424 et 425 de notre édition.