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179. DU PRINCE HENRI.

Rheinsberg, 27 novembre 1763.



Mon très-cher frère,

Vous avez bien de la bonté, mon très-cher frère, d'avoir voulu m'apprendre tous les changements que les Turcs font sur les mœurs de Berlin; la lettre que vous daignez m'écrire du 21 ne me donne pas haute opinion des Orientaux, mais me confirme dans l'opinion que la nouveauté plaît toujours. La plupart des personnes qui vont voir l'ambassadeur ne s'instruisent pas des mœurs, de la langue, ni des usages des Turcs; ils reviennent chez eux, et n'apportent d'autres lumières que celles que peut donner le spectacle d'un homme assis en longue robe et les jambes croisées, d'un turban et de tapis de Perse. Le plus curieux serait de les questionner beaucoup, de connaître par soi-même quels sont leurs préjugés, s'ils ont de la finesse dans les affaires qu'ils recherchent, et s'ils ont des notions des choses abstraites. Je crois, mon très-cher frère, que vous êtes bien aise d'avoir terminé l'audience; car les objets solides qui vous occupent ne vous donnent pas le loisir de vous amuser d'une cérémonie et d'un spectacle qui remplit tout entière l'âme de Pöllnitz. Je sens que le départ du Prince héréditaire vous fait de la peine, et j'en suis fâché, d'autant plus que je crains bien que le sort qui l'attend ne sera pas gracieux pour lui.

Ma santé, à laquelle votre bonté pour moi prend intérêt, va passablement; du moins il faut que j'en sois content; ne pouvant changer ni mes fibres, ni mes nerfs, il faut que je les traîne comme il a plu à la nature de me les donner. J'en serai toujours content, pourvu que j'aie assez de force pour vous donner en tout temps des preuves de l'attachement inviolable avec lequel je suis, etc.