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180. AU PRINCE HENRI.

(Potsdam) 4 décembre 1763.



Mon cher frère,

Je suis fort fâché d'apprendre que vous n'êtes pas encore restitué de votre indisposition. Il faut de l'exercice, mon cher frère, pour faire circuler le sang malgré lui, s'il ne circule pas de lui-même. Je me trouve plaisant de ce que mon hypocondrie donne des conseils à la vôtre; mais, mon cher frère, il faut dissiper son mal, fortifier ses nerfs, radouber son estomac, égayer son esprit, et tâcher de passer le plus doucement que l'on peut le temps qui nous est fixé pour habiter avec les vivants.

Le mamamouchi est venu ici, et je suis fort étonné si le charme de la nouveauté ne portera pas quelqu'un de mes benêts de compatriotes à se faire circoncire. Le vieil effendi a beaucoup de goût pour les spectacles et pour la chasse; je lui ai fait donner de l'un et de l'autre, ce qui lui fait grand plaisir. J'ai vu monter à cheval des spahis; c'est à peu près comme les Cosaques. A vous dire le vrai, nos peuples européens ont un grand avantage sur ces Asiatiques et sur tous les habitants des autres parties de ce globe. Nous sommes plus industrieux, plus raffinés qu'eux; et quoique nous ne connaissions pas les premiers principes des choses, nous en savons cependant cent fois plus que tous ces gens pris ensemble. L'effendi retourne aujourd'hui à Berlin, et je crois être à présent assuré que cette alliance, à laquelle j'ai travaillé depuis dix années, va se conclure. C'est une des meilleures pièces que je puis laisser en héritage à mon neveu, et qui, selon ce que peut prévoir la prudence humaine, pourra servir à faire respecter de nos ennemis et de nos envieux les traités qu'ils viennent de conclure avec nous.

Vous aurez un beau cheval turc, dont l'Empereur vous fait présent; il n'attend que votre arrivée, et moi de même, pour vous assurer, mon cher frère, de vive voix, de la tendresse et de la parfaite estime avec lesquelles je suis, etc.