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366. AU PRINCE HENRI.

Le 4 décembre 1781.



Mon très-cher frère,

Je suis l'ordre de votre lettre pour répondre de point en point, mon cher frère, aux choses obligeantes que vous voulez bien me dire : que si mes nerfs étaient tels que vous vous les représentez, je ne serais pas malade; l'âge, mon cher frère, use et détruit tout. Mes nerfs, loin de produire les hémorroïdes coulantes, ne me causent que des coliques inutiles, parce que le tempérament n'a pas la force de pousser le sang comme il l'avait autrefois. Mes jambes, qui ont été ouvertes jusqu'ici, se sont fermées, et la goutte n'a plus assez de vigueur pour se jeter dans les parties extérieures. Tout cela sont autant d'avertissements qui disent : Mon ami, plie bagage; mais je vous assure que cela m'est très-indifférent, et que ces avant-coureurs de la mort ne troubleront en rien la tranquillité de mon âme.

Pour les religions, je pense à peu près comme Fontenelle, qui disait que s'il tenait la main toute pleine de vérités, il ne l'ouvrirait pas pour les lâcher au peuple, parce que le peuple ne méritait pas d'être éclairé.a Je vous avouerai d'ailleurs que si j'avais le choix de toutes les sectes chrétiennes, je me déclarerais pour la protestante,b parce qu'elle est la moins malfaisante. Je suis d'ailleurs très-persuadé qu'il faut laisser à chacun la liberté de croire ce qui lui paraît croyable;c qu'on admette l'immortalité, je ne m'y oppose point, pourvu qu'on ne se persécute pas. Quant aux mœurs, il n'y a qu'à examiner les annales de tous les âges et de toutes les nations, et, si l'on veut, de toutes les religions; on y trouve une égale corruption des mœurs, parce que les opinions ne sauraient changer les hommes, et que les passions sont les mêmes en tout pays, comme en toute secte. Imaginez tout ce que vous voudrez, vous ne trouverez de frein pour les méchantes actions que dans les peines afflictives et dans la honte.


a Voyez t. XXIV, p. 523 et 527; t. XXV, p. 254 et 265.

b Voyez t. I, p. 236 et suivantes; t. XXIV, p. 530, 531 et 538; t. XXV, p. 447.

c Voyez t. XXV, p. 265 et 276.