<95>Je vais mon chemin comme je le puis, tantôt fiévreux, et tantôt jouissant de quelque santé. Les experts disent qu'il faut que tout soit ainsi pour le plus grand bien de mon âme; je veux le croire; cependant je me serais bien passé de l'apoplexieb et de la fièvre. Pour cette fois-ci, je crois être réchappé de l'empire de Pluton; mais j'étais au dernier gîte du Styx, j'entendais déjà aboyer Cerbère, et j'apercevais déjà le vieux nocher des morts et sa barque fatale. Toutefois je vis encore, et je vis pour vous aimer et vous prouver en toute occasion combien je suis tendrement et avec une parfaite estime, etc.

15. DU PRINCE DE PRUSSE.

Berlin, 21 février 1747.



Mon très-cher frère,

Les vers que vous me citez, mon très-cher frère, sur le sujet de Henri IV sont des chefs-d'œuvre de M. de Voltaire. Il exprime avec clarté l'élévation des sentiments de son héros. Vous me faites trop d'honneur, mon très-cher frère, en m'attribuant toutes les vertus de ce grand prince. Si je l'imite en quelque chose, c'est en me cachant à moi-même le chagrin d'avoir pu être privé par un moment fatal d'un roi, d'un frère et, si j'ose dire, de mon meilleur ami.

Henri IV se flattait peut-être avec raison de pouvoir, par sa vertu et son génie supérieur, surpasser son prédécesseur; mais, mon très-cher frère, je me trouve dans tout un autre cas; il n'y a rien à ajouter à la gloire que vous avez acquise à la nation prussienne. Je me connais trop pour me flatter, et je me fais plus d'honneur de vivre sous vos lois que de gloire de pouvoir être votre successeur.

Soyez persuadé, mon très-cher frère, que cet aveu est sincère, et conservez votre santé pour la consolation de ceux qui


b Voyez t. I, p. XLI; t. XXII, p. 186; t. XXIII, p. 403