147. AU MÊME.

(Dahlen) 24 février 1763.



Mon cher frère,

Je pense bien comme vous sur la conduite du roi de Pologne; à peine nos troupes ont-elles quitté les villes, que les commissaires saxons y sont entrés avec des assignations et des ordres de payer.308-a Cette conduite inhumaine est certainement avantageuse pour nous, car la misère de ces peuples en obligera beaucoup à se réfugier ailleurs. D'ailleurs, la conduite du roi de Pologne est si bizarre, qu'il se brouille aussi mal à propos que possible avec la cour de Russie.309-a Tout ce qui est un mal pour lui devient en ce moment un bien pour nous. Nous avons des nouvelles de <270>Vienne qui portent que la nouvelle de la paix y a été reçue avec de vraies démonstrations de joie; les ratifications arriveront en deux jours, et cette affaire sera finie. Le comte Kaunitz et sa souveraine sont excessivement dégoûtés de la guerre; à en juger par les procédés, je crois qu'à présent au moins ils désirent sincèrement de vivre en bonne intelligence avec nous. Cependant il ne faut pas oublier la fable du chat et des souris; le chat demeure chat, quoi qu'il fasse.

Je crois que le Prince et la Princesse électorale ont de bonnes intentions, qui cependant ne prévaudront pas contre le gouvernement de Brühl, tant qu'il durera. Il est bien difficile aux hommes, mon cher frère, de porter un jugement de l'avenir; le chapitre des événements est trop vaste; néanmoins j'entrevois que cette paix pourra durer le peu de jours qui me restent à vivre, car toutes les puissances sont épuisées. S'il y a une nouvelle guerre, il y a apparence qu'elle se fera entre la France et l'Angleterre; il n'y a qu'à ne se point allier avec ces peuples et les laisser faire. Que nous importe la merluche et le Cap-Breton?309-b

Je suis assez content dans ce moment de la Russie, et mon sentiment est qu'il faut rester comme nous sommes, en nous ressouvenant du proverbe de l'empereur Auguste : Festina lente.

Cependant j'emploie tout ce temps-ci à faire des arrangements domestiques, et il n'y a plus aucun doute que, dès cette année, la plus grande partie des provinces sera remise; l'année prochaine, il ne faut plus qu'il reste nulle part des traces de la guerre. C'est mon devoir, mon cher frère, de travailler dans cette occasion; si de ma vie je puis rendre quelque service à l'État, c'est de le relever à présent de la subversion, et, s'il est possible encore, de corriger les abus et de mettre la réforme où elle est nécessaire. Ce projet est vaste, et embrasse beaucoup de branches; mais si le ciel m'accorde quelques jours de vie, je le conduirai à sa perfection; sinon, j'en laisserai les traces, que les autres pourront suivre, s'ils le trouvent à propos. Je suis, etc.


308-a Voyez t. XIX, p. 427 et 428.

309-a Allusion aux démêlés relatifs au duc de Courlande, dont il a été fait mention t. IV, p. 257, t. V, p. 256, t. XVIII, p. 250, et t. XXIV, p. 49.

309-b Voyez t. IV, p. 16-18; t. VI, p. 10; t. XVIII, p. 127; t. XX, p. 295.