43. A LA MÊME.

Potsdam, 13 septembre 1736.



Ma très-chère sœur,

Je suis charmé de ce que vous vous divertissez si bien à Baireuth, et que jusqu'aux moines vous fournissent des sujets à vous amuser. Je m'imagine que la dispute de vos deux soi-disant philosophes aura été assez impertinente : beaucoup d'ignorance d'un côté, et beaucoup d'obscurité de l'autre; qu'ils se seront disputés pour la barbe du pape, l'un sans beaucoup de raison, et l'autre par un somptueux galimatias de choses qu'il n'entend pas trop lui-même. La philosophie des moines est toujours subordonnée aux principes de leur religion, et par conséquent fort <44>défectueuse; et je considère celle de votre pyrrhonien comme une incertitude de sentiments qui vient faute de connaissances claires et d'idées justes. Je m'imagine voir un homme qui a fort bien étudié les termes de la philosophie, sans autrement savoir leur propre sens, ni le véritable usage que l'on en doit faire. Il me semble que je le vois étaler son opinion avec emphase, soutenir ses thèses avec ostentation, et du reste faire le mieux valoir qu'il peut toutes les graves billevesées dont les scolastiques ont infecté les écoles. Ces sortes de pédants sont les Don Quichottes des savants; ils divertissent par leurs idées, la plupart du temps erronées, et par l'impétueuse vivacité dont ils soutiennent leurs raisonnements; il y entre plus de convulsions dans leur façon d'argumenter que dans les gestes forcenés du Pantalon, et la plupart du temps, après que l'on a disputé deux heures avec ces sortes de gens, l'on n'en sort pas plus instruit, ni eux plus raisonnables qu'ils n'étaient, et c'est précisément la différence qu'il y a d'eux avec les véritables savants. Leur caractère modeste ne dispute jamais; ouvrent-ils la bouche, c'est pour instruire; leurs raisonnements sont appuyés sur des fondements incontestables, et par conséquent l'on ne se sépare jamais d'avec eux que l'on ne se sente forcé de convenir de leurs sentiments. Pardonnez-moi cette digression, ma très-chère sœur; ce n'est pas moi, mais c'est l'occasion qui l'a fait naître.

J'ai suivi le Roi de Ruppin ici1_50-a pour y faire mes dévotions. Le tout s'est passé très-bien. Il part demain pour Wusterhausen, et je m'enfuis à Remusberg.1_50-b Ni la tranquillité de ce lieu, ni les agréments que nous y goûterons, ne m'empêcheront de penser à vous. C'est ce que je vous prie de croire, ma très-chère sœur, <45>étant avec tous les sentiments d'une véritable et sincère tendresse, ma très-chère sœur, etc.

Je vous prie de faire mes compliments au Margrave.


1_50-a Voyez t. XXV, p. 528 et 533, et le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 148 et 154.

1_50-b C'est ici que Frédéric écrit pour la première fois, dans celte correspondance, Remusberg au lieu de Rheinsberg. Dans sa lettre à sa sœur, du 7 juin 1736, il a mis Reinsberg, ainsi que dans celle du 23 septembre 1736; dans ses lettres à la même, du 28 juin, du 2, du 20, du 22 octobre et du 6 novembre 1736, il a très-distinctement écrit Remsberg; et dans celles du 29 octobre, du 4, du 21 et du 28 novembre, on trouve Remusberg, nom sous lequel il désigne ordinairement, dès lors, son séjour favori. Voyez t. XVI, p. 307 et suivantes; t. XVII, p. 302 et suivantes; et t. XXI, p. 19 et suivantes.