62. A LA MÊME.

Ruppin, 11 avril 1739.



Ma très-chère sœur,

J e suis très-mortifié de ce que votre santé est encore si languissante. Pour l'amour de Dieu, faites donc résoudre votre margrave <63>d'envoyer ces deux hommes de sa garde au Roi, afin que vous ayez Superville.1_71-a C'est, je vous le jure, le seul moyen de réussir; car personne n'a le crédit de vous secourir, si la médiation des grands hommes ne s'y interpose. On ne doit point perdre de temps; les moments sont précieux, et votre personne inestimable. Suivez mon conseil, je vous en supplie, et ne fondez pas trop d'espérances sur le Danemark, car ces choses sont trompeuses.

Je ne cesserai point encore de vous mander des mortalités : le ministre Viebahn vient de crever, le général Goltz en a fait autant, et l'on croit que le maréchal Borcke le suivra dans peu. Si M. de Grumbkow ne m'avait jamais fait de mal, je pourrais lui faire une épitaphe; mais tout ce que je pourrais en dire sentirait trop la prévention, et d'ailleurs je crois que ce serait trop d'honneur. Mais pour vous obéir il n'est rien que je ne fasse. On pourrait donc dire quelque chose de semblable :

Ci-gît un maréchal, un ministre, et, de plus,
Un grand financier, un ecclésiastique.1_72-1
Passants, qui connaissez sa fourbe politique,
Laissez dans l'oubli confondus
Et ses vices, et ses vertus.1_72-a

J'espère que cet échantillon de mes vers vous fera passer l'envie d'en avoir d'autres. C'est un amusement qui me procure de fort doux moments; mais tout ce que je puis faire ne saurait être comparé à l'ouvrage des grands poëtes; c'est un métier chez eux, ce n'est qu'un amusement pour moi.

Permettez-moi de revenir à votre santé ....


1_71-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 278.

1_72-1 Prévôt du dôme de Brandebourg. (Note de Frédéric.)

1_72-a Voyez t. XIV, p. 194, et t. XVII, p. 58.