215. A LA MÊME.

Potsdam, 15 mars 1749.



Ma très-chère sœur,

Vous avez la malice de me mettre à l'épreuve sur une matière délicate, et dont je ne sais pas comme je me tirerai. Il faut cependant vous satisfaire, ma très-chère sœur; tout ce que je puis faire de mieux est de métaphysiquer la constance. II en est, selon moi, de deux sortes; savoir : celle en amour, et celle de l'es<189>time. La constance de l'estime est fondée sur la connaissance des belles qualités et des vertus d'une personne, et je crois qu'elle doit être inaltérable, autant que nous ne voyons pas que le caractère que nous avons estimé se démente à un point qu'il s'attire le mépris; car cette constance est fondée sur le rapport mutuel de la vertu et de l'estime; tant que celui-là se trouve, elle doit subsister également. Quant à la constance en amour, elle est d'une nature toute différente : l'amour ne vient que par l'impression que la beauté fait sur nos sens; tant que l'objet aimé est le même, ses effets doivent y répondre; mais si la fleur de la beauté se fane, les impressions deviendront différentes, et en ce cas, il faut que l'amour en souffre. Se piquer de constance en pareille occasion, c'est jouer une passion que l'on n'a pas, c'est affecter le sentiment, ou bien faire l'ivrogne à jeun. Nous ne sommes pas les maîtres de l'amour, mais il est le nôtre; il prend un cœur d'assaut, sans qu'on puisse lui résister, et lorsqu'il nous quitte, il devient sourd à la voix qui le rappelle. Je tiens donc qu'une personne qui varie dans son estime par inconstance mérite notre mépris, et que celle qui est infidèle en amour imite le dieu qu'elle sert, et auquel les poëtes ont donné des ailes pour de bonnes raisons. Je m'attends à passer condamnation devant votre tribunal, ma chère sœur; vous me prendrez pour un pourceau du troupeau d'Épicure. Traitez-moi, je vous prie, avec plus d'indulgence, et souvenez-vous que c'est pour vous obéir que je vous explique mes sentiments.

Ne doutez point, ma chère sœur, de la constance de mon estime, ni de tous les sentiments avec lesquels je suis invariablement, ma très-chère sœur, etc.