<313>dans sa patrie; car il n'est pas mieux traité à Turin que je le suis en France. Si V. M., comme je le présume, juge nécessaire de remplacer le grand vide que le départ de M. Euler va laisser dans l'Académie, j'exécuterai les ordres qu'elle voudra bien me donner à ce sujet, et, sans la compromettre, je pressentirai M. de la Grange sur ses dispositions et sur ce qu'il pourrait désirer.

La dernière lettre que V. M. m'a fait l'honneur de m'écrire au sujet de ma situation et des injustices que j'ai essuyées m'a pénétré de la plus vive reconnaissance; j'y ai trouvé les sentiments d'un philosophe, et permettez-moi d'ajouter, Sire, les bontés d'un père. Pourquoi ne donnerais-je pas à V. M. le plus doux et le plus respectable de tous les noms qui attachent entre eux les hommes? J'ai suivi ses conseils, j'ai fait à un homme en place injuste les remercîments que je lui devais suivant l'usage; mais j'espère n'être pas dans le cas de lui en faire souvent de pareils, étant bien déterminé à ne plus m'exposer à de pareils refus. En lisant, Sire, et relisant vos dernières lettres, et en admirant la sagesse de vos leçons, dont j'ai profité, je me suis rappelé un mot bien vrai du respectable mylord que V. M. aime et estime à si juste titre : « Voilà, me disait-il un jour en me montrant V. M., voilà le véritable philosophe. » Je sens tous les jours de plus en plus combien mylord Marischal avait raison. Conservez, Sire, ce philosophe au monde, qui a besoin de pareils exemples; conservez-vous pour le bonheur de vos sujets, et j'ose ajouter, pour la consolation d'un de vos disciples en philosophie, qui a du moins le mérite de bien sentir tout le prix d'un tel maître et d'un tel modèle, et de lui être inviolablement dévoué.

J'ai lu les Lettres sur les miraclesa dont V. M. m'a fait l'honneur de me parler. Il y en a de bien raisonnées; il y en a de plaisantes; il y en a que l'auteur aurait pu retrancher. L'auguste parlement de Paris ne leur a point encore fait la grâce de les brûler suivant son usage; il a pour le présent d'autres affaires, et l'embarras où il se trouve laisse respirer un peu la philosophie, dont nos pédants en robe n'ont pas moins juré la perte que des jésuites, mais qui ne périra pas comme eux.


a Questions sur les miracles, par Voltaire. Voyez ses Œuvres, t. XLII, p. 143 et suivantes.