<16>jetterait d'abord en Saxe, en marchant à Wittenberg; le troisième dessein est celui de marcher droit à Berlin. La meilleure défensive que l'on puisse faire, c'est de marcher en Saxe, comme nous le fîmes l'hiver de 1745.b Se retirer derrière la Sprée ou la Havel, c'est perdre le pays. J'aimerais mieux assembler mon armée auprès de Brandebourg, mettre mes vivres à Brandebourg et Spandow, faire abattre tous les ponts de la Havel, hors ceux de ces villes, et forcer quelques marches pour rencontrer les Saxons dans leur pays, les battre et les mettre à leur tour sur la défensive. On dira tout ce qu'on voudra, mais il n'y a point d'autre parti à prendre.

Les projets de campagne les plus difficiles à faire, ce sont ceux par lesquels on doit s'opposer à beaucoup d'ennemis puissants; c'est alors qu'il faut avoir recours à la politique, pour les brouiller entre eux et pour en détacher l'un ou l'autre par des avantages qu'on leur procure. Quant au militaire, il faut alors savoir perdre à propos (qui veut défendre tout ne défendra rien), sacrifier une province à un ennemi, et marcher, en attendant, avec toutes vos forces contre les autres et les obliger à une bataille, faire les derniers efforts pour les détruire, et détacher alors contre les autres. Ces sortes de guerres ruinent les armées par les fatigues et les marches qu'on leur fait faire, et si elles durent, elles prennent pourtant une fin malheureuse.

En général, les projets de campagne doivent être ajustés aux conjonctures des temps, à l'espèce et au nombre d'ennemis que l'on a; il ne faut jamais mépriser l'ennemi dans le cabinet, mais se mettre dans sa place et penser ce qu'on ferait, si on était de lui. Plus on prévoit d'obstacles dans ses desseins, et moins on en trouve ensuite dans l'exécution. En un mot, il faut tout prévoir, sentir les difficultés et les résoudre.


b Voyez t. III, p. 165 et suivantes.