<87>heureux de n'en point faire l'expérience avec mon armée entière; mais j'ai vu, après la bataille de Mollwitz, combien de temps il faut pour rassurer un corps découragé; car ma cavalerie était au point qu'elle croyait que je l'envoyais à la boucherie lorsque je faisais quelque détachement pour l'aguerrir. C'est depuis la bataille de Friedeberg que l'on peut marquer l'époque de sa régénération.

Que l'ennemi découvre un espion d'importance que vous avez dans son camp, voilà votre boussole perdue, et vous n'apprenez plus de ses manœuvres que celles que vous voyez.

La négligence des officiers qui doivent battre l'estrade peut vous mettre dans les plus grands embarras. Neipperg fut surpris à Mollwitz de cette façon-là, car l'officier hussard qu'il avait chargé d'aller à la découverte négligea son devoir, et nous fûmes vis-à-vis de lui lorsqu'il s'y attendit le moins. Un officier de Zieten fit mal la patrouille aux bords de l'Elbe; justement les ennemis firent, la nuit,a leur pont à Selmitz, et surprirent le passage.

Apprenez donc à ne jamais confier la sûreté de toute l'armée à la vigilance d'un seul petit officier, et retenez bien ce que j'ai dit dans l'article de la défense des rivières en général. Les batteurs d'estrade ne doivent être regardés que comme une précaution superflue; il ne faut jamais entièrement se reposer là-dessus, mais prendre encore beaucoup d'autres précautions plus solides et plus certaines.

Les trahisons sont le pire de tous les malheurs. En 1734, le prince Eugène fut trahi par le général Stein, qui était gagné par les Français. Je perdis Cosel par la trahison d'un officier de cette garnison qui déserta et y introduisit les ennemis.b

Enfin, de tout ce que je viens de dire il en résulte que, quelque heureux que l'on soit, il ne faut jamais se confier à la fortune, ni se bouffir de ses succès, mais penser que notre peu de sagesse et de prudence devient souvent le jouet des hasards et de ces cas fortuits par lesquels je ne sais quel destin se plaît à humilier l'orgueil des présomptueux.


a La nuit du 18 au 19 novembre 1744. Voyez t. III, p. 77 et 78.

b Voyez ci-dessus, p. 72.