<181>

APPENDICE.[Titelblatt]

<182><183>

CORRESPONDANCE DU ROI AVEC SIR THOMAS VILLIERS RELATIVE A L'HISTOIRE DE LA PAIX DE DRESDE.

<184><185>

I. LETTRE DE M. LE COMTE DE PODEWILS, MINISTRE DU CABINET DE SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE, A M. DE VILLIERS, MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE DE SA MAJESTÉ BRITANNIQUE A LA COUR DE SAXE.

De Berlin, le 28 novembre 1745.



Monsieur,

C'est par un ordre exprès du roi mon maître, que j'ai l'honneur de vous écrire celle-ci.

Sa Majesté est persuadée que vous êtes pleinement informé, monsieur, de tous les soins infatigables que Sa Majesté Britannique s'est bien voulu donner jusqu'ici pour rétablir la paix en Allemagne, et une bonne harmonie entre le roi mon maître et les cours de Vienne et de Dresde, par la convention conclue et signée à Hanovre le 26 août (nouv. style) de l'année courante, entre le roi mon maître et Sa Majesté Britannique, et ratifiée de part et d'autre.

Vous ne sauriez ignorer non plus, monsieur, la modération que le roi mon maître a témoignée immédiatement après la signature de cette convention, puisque, sans attendre que les cours de Vienne et de Dresde eussent déclaré qu'elles la voulaient accepter, Sa Majesté, dans le dessein de montrer ses grands égards et son attention infinie pour Sa Majesté Britannique, a bien voulu suspendre les effets de son juste ressentiment contre l'invasion hostile <186>des troupes saxonnes en Silésie, en ordonnant à S. A. Mgr. le prince d'Anhalt, dès que la nouvelle de la signature de la convention de Hanovre nous fut parvenue, de ne point entrer en Saxe, quoiqu'il se trouvât sur le point de le faire avec une armée bien supérieure à celle que la cour de Dresde lui pouvait alors opposer.

C'est dans les mêmes sentiments de modération, et pour témoigner d'autant plus les dispositions pacifiques du Roi, que Sa Majesté, nonobstant le refus des cours de Vienne et de Dresde d'acquiescer à un accommodement aussi juste et équitable que celui qui est stipulé dans la convention de Hanovre, a bien voulu surseoir constamment toutes les hostilités contre la Saxe, auxquelles l'invasion de la Silésie l'avait assez autorisée. Et le Roi, pour convaincre encore plus Sa Majesté Britannique, et toutes les puissances bien intentionnées, de son désir pour la paix et le prompt rétablissement d'une bonne union et harmonie avec la cour de Dresde, est allé plus loin; et, pour ne plus donner d'ombrage à la Saxe, il a fait retirer la plus grande partie de l'armée de S. A. le prince d'Anhalt des frontières de la Saxe, ayant fait déclarer à votre cour, monsieur, aussi bien qu'à celle de Russie, qu'il ne tiendrait jamais à Sa Majesté de donner les mains à un prompt accommodement avec Sa Majesté le roi de Pologne, et d'accepter les bons offices que Sa Majesté l'Impératrice y voulait employer de concert avec Sa Majesté Britannique.

Mais comme, malgré toutes ces démarches les plus amiables et les plus pacifiques du roi mon maître, la cour de Dresde, bien loin d'y répondre en aucune façon, avait pris la funeste résolution d'appeler deux armées autrichiennes dans le cœur de la Saxe, pour traverser d'un côté avec leurs forces réunies la Lusace, et pénétrer de là non seulement en Silésie, mais aussi dans les anciens États héréditaires de Sa Majesté, tandis que l'armée saxonne, proche de Leipzig, était destinée à faire, de concert avec le corps de troupes autrichiennes qui est sous les ordres du général comte de Grünne, une invasion dans le pays de Magdebourg, et même tout droit vers cette capitale : le Roi s'est vu forcé à regret, et bien malgré lui, de prendre les mesures les plus vigoureuses que les lois divines et humaines permettent et ordonnent même, pour <187>détruire des desseins si dangereux, et pour ne point attendre dans le cœur de ses États des ennemis acharnés à sa perte et qui s'avançaient de tous côtés pour l'écraser. C'est dans cette fâcheuse nécessité que Sa Majesté s'est trouvée obligée d'aller au-devant de l'armée combinée autrichienne et saxonne en Lusace, pour lui couper le chemin, et l'empêcher de percer dans le cœur des États héréditaires du Roi. La Providence, qui jusqu'ici a donné des marques de sa protection si visibles au Roi contre tant d'ennemis conjurés contre lui, a bien voulu bénir encore cette fois les justes armes de Sa Majesté; et elle a non seulement eu le bonheur de défaire entièrement, à son entrée en Lusace, le corps de troupes auxiliaires saxonnes qui faisaient l'avant-garde de l'armée autrichienne, après avoir fait plus de mille prisonniers, parmi lesquels se trouvent une trentaine d'officiers avec le général de Buchner, le colonel O'Byrn et d'autres officiers de marque, outre quatre pièces de canon, trois drapeaux, deux étendards et deux paires de timbales : mais de plus Sa Majesté ayant marché ensuite du côté de Görlitz pour attaquer l'armée autrichienne, celle-ci n'a pas trouvé à propos de l'attendre; mais, après avoir abandonné son corps de troupes auxiliaires saxonnes, et un grand magasin à Görlitz, dont nos troupes se sont emparées en y faisant encore deux cents hommes et plusieurs officiers du régiment des gardes saxonnes prisonniers, le prince Charles s'est retiré avec tant de diligence et de désordre vers Zittau et les frontières de la Bohême, que ses troupes ont même pillé tous les villages saxons où elles avaient cantonné.

Cependant, et malgré tous ces avantages qui rendent le Roi maître de toute la Haute-Lusace, et qui seront, s'il plaît à Dieu, suivis bientôt de plus considérables encore, Sa Majesté est toujours prête à se réconcilier sincèrement avec Sa Majesté le roi de Pologne, à oublier tout le passé, et à retirer incessamment toutes ses troupes des États de Saxe, aussitôt qu'il aura plu à ce prince d'accéder formellement à la convention de Hanovre, de renvoyer les troupes autrichiennes, et de ne leur plus accorder jamais aucun passage par ses États pour faire la guerre au roi mon maître, ni en Silésie, ni dans aucune autre province de la domination du Roi.

<188>Sa Majesté, dans les termes où elle en est avec le roi votre auguste maître, croit pouvoir s'adresser hardiment à un ministre aussi éclairé et aussi bien intentionné que vous l'êtes, monsieur, pour vous prier, ainsi qu'il m'a expressément ordonné de le faire de sa part, de vouloir bien informer, sans perte de temps, de ces sentiments de modération et de ces dispositions pacifiques Son Excellence M. le comte de Brühl, et même Sa Majesté le roi de Pologne, et de nous faire savoir au plus tôt les résolutions et la réponse de la cour où vous êtes, sur tout cela.

Le Roi m'enjoint expressément de vous dire, monsieur, que vous pouvez compter sur sa parole, et que vous n'aurez jamais aucun démenti à craindre sur tout ce que je viens de vous mander de la part de Sa Majesté et par ses ordres exprès.

Mais vous pouvez bien juger aussi, monsieur, que le Roi ne saurait discontinuer de profiter de ses avantages, et de les pousser aussi loin qu'il est possible pour prévenir les dangereux desseins de ses ennemis, jusqu'à ce qu'il aura plu à la cour où vous êtes, d'accéder purement et simplement à la convention de Hanovre du 26 du mois d'août de l'année présente.

Au reste, comme jusqu'à présent on a fait un assez mauvais usage à Dresde de toutes les ouvertures qui ont été faites de notre côté pour un accommodement, j'ose me flatter que vous ne donnerez point de copie de ma lettre au ministère de Saxe. Il y aura d'autres moyens pour le rassurer sur la sincérité et la bonne foi du Roi, si l'on est disposé, autant que Sa Majesté l'est, à écouter la voix de la modération et de la réconciliation.

J'espère que vous voudrez bien m'honorer d'une prompte réponse par l'envoi d'une estafette, et je suis charmé que cette occasion me procure celle de vous assurer de la plus parfaite considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être etc.

H. comte de Podewils.

<189>

II. RÉPONSE DE M. DE VILLIERS.

De Dresde, le 30 novembre 1745



Monsieur,

Je reçus hier à dix heures du soir l'honneur de la lettre de Votre Excellence du 28 du courant. Celui que Sa Majesté le roi de Prusse me fait, en me choisissant pour l'instrument d'un ouvrage aussi important que celui de couronner ses victoires par une paix équitable, m'animera à y travailler, conformément aux instructions que j'ai depuis quelque temps reçues là-dessus du roi mon maître, avec autant de zèle que d'impartialité. Je commençai dès le soir même du 29 à m'acquitter de ce devoir. Je fis rapport du contenu de la lettre de Votre Excellence à M. le comte de Brühl, qui me promettait, en montrant une disposition agréable aux intérêts des deux cours, d'en faire autant au roi son maître, d'assembler un conseil d'État, et de me donner une réponse aujourd'hui. Son Excellence n'a rien omis; et la résolution de cette cour, sur ce que j'ai eu l'honneur de proposer de la part de Sa Majesté Prussienne, porte en substance :

I. Que le roi de Pologne n'est point éloigné d'accéder à la convention de Hanovre, mais qu'il faut nécessairement en communiquer avec la cour de Vienne, comme la partie principale; ce qu'on va faire incessamment.

II. Que le roi de Pologne s'engage de faire sortir les troupes d'Autriche de son pays, entrées sur des lettres réquisitoriales, <190>aussitôt que Sa Majesté le roi de Prusse, selon sa propre déclaration, fera rétrograder et sortir son armée de tous les États du roi de Pologne.

III. Que le roi de Pologne s'engage de ne plus permettre aucun passage aux troupes d'Autriche dans le but d'attaquer Sa Majesté Prussienne, soit en Silésie, soit dans son électorat.

Je laisse à la pénétration supérieure de Votre Excellence de décider si les engagements du roi de Pologne ne paraissent pas d'une nature à l'empêcher, tel que soit son désir, de rétablir une parfaite harmonie entre les deux cours, à parler plus catégoriquement, et encore moins à accéder à la convention, avant que celle de Vienne, qui devrait être une partie principale contractante, ne l'accepte. Ma sincérité m'oblige à avouer à Votre Excellence que, malgré mon envie extrême de mériter la confiance dont un aussi grand roi que celui que vous servez, monsieur, m'honore, je n'oserais me mêler de cette commission à l'exclusion de la maison d'Autriche. Mais les sentiments de Sa Majesté Prussienne sont trop marqués dans la lettre obligeante et instructive de Votre Excellence, pour n'avoir pas lieu d'espérer que la disposition que la cour de Dresde témoigne dans sa réponse, sera regardée comme un grand acheminement à la paix, si désirée et si nécessaire pour sauver tous les États des bien intentionnés de l'Europe.

Votre Excellence peut être assurée que je ne donnerai point de copie de sa lettre à cette cour. Ce premier témoignage de son opinion en ma faveur m'est trop flatteur, pour que j'en fasse autre usage que celui que vous voulez bien me prescrire; mon étude sera de paraître digne des ordres que Votre Excellence me donne, et de profiter de toutes les occasions pour faire voir la parfaite considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être,



Monsieur,

de Votre Excellence
le très-humble et très-obéissant serviteur,
Thomas Villiers.

<191>

III. LETTRE DE M. DE VILLIERS A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

De Dresde, le 30 novembre 1745.



Sire,

Me trouvant honoré d'une lettre de M. le comte de Podewils, ministre d'État de Votre Majesté, par laquelle il me charge, par les gracieux ordres de Votre Majesté, de certaines insinuations à faire à cette cour, tendant au but salutaire du rétablissement de la paix, je n'ai pas manqué de m'en acquitter avec tout l'empressement que l'importance du sujet exige; aussi ai-je la satisfaction de pouvoir assurer Votre Majesté que les propositions généreuses qu'elle a fait faire à Sa Majesté Polonaise, ont été reçues avec des sentiments qui y répondent. La réponse qu'on m'a donnée consiste en ce :

I. Que le roi de Pologne n'est point éloigné d'accéder à la convention de Hanovre, mais qu'il faut nécessairement en communiquer avec la cour de Vienne, comme la partie principale; ce qu'on va faire incessamment.

II. Que le roi de Pologne s'engage de faire sortir les troupes d'Autriche de son pays, entrées sur des lettres réquisitoriales, aussitôt que Sa Majesté le roi de Prusse, selon sa propre déclaration, fera rétrograder et sortir son armée de tous les États du roi de Pologne.

<192>III. Que le roi de Pologne s'engage de ne plus permettre aucun passage aux troupes d'Autriche dans le but d'attaquer Sa Majesté Prussienne, soit en Silésie, soit dans son électorat.

J'en ai incessamment fait part à Son Excellence M. le comte de Podewils; mais, pour gagner du temps et pour épargner une plus grande effusion de sang, je n'ai pas voulu manquer d'en rendre aussi compte à Votre Majesté, en lui proposant, par ordre de cette cour, de faire cesser de part et d'autre toutes les opérations et exactions militaires.

Je n'ose représenter à un prince si éclairé combien un pareil témoignage d'amitié tendra à la consolider. Je me bornerai à obéir aux ordres de Votre Majesté, et à montrer la vénération avec laquelle je prends la liberté de me déclarer,



Sire,

de Votre Majesté
le plus obéissant et dévoué serviteur,
Villiers.

<193>

IV. RÉPONSE DE SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE A M. DE VILLIERS.

Du quartier de Görlitz, le 1er décembre 1745.



Monsieur,

Je crois que l'Angleterre et toute l'Europe doit être convaincue de ma modération. Si le roi de Pologne ne m'avait pas forcé par ses mauvais procédés d'entrer dans son pays, je ne m'y serais jamais porté. Mais indépendamment de tous les avantages que toute l'Europe voit que j'ai sur mes ennemis, je suis prêt à souscrire à un accommodement.

Cependant, ayant trop appris à connaître par l'expérience combien la cour de Dresde se sert de ses avantages, je ne puis faire cesser les hostilités, ni retirer mes troupes de ce pays, avant que le roi de Pologne n'acquiesce purement et simplement à la convention de Hanovre. Vous pouvez être persuadé que j'en attends la nouvelle avec toute l'impatience imaginable, et que, du moment que je l'aurai, je prendrai des arrangements en conséquence. Vous sentez vous-même que ce que vous m'écrivez n'est pas suffisant pour arrêter les progrès d'une armée victorieuse, et que la cour de Dresde paraît se réserver une porte de derrière en attendant le consentement de la cour de Vienne. Pour peu que je voie plus de sincérité de sa part, et que vous vouliez, au nom du roi d'Angleterre, en être garant des suites, je suis prêt à <194>accepter tous les arrangements pacifiques que vous pourrez prendre, pour rétablir une paix bien solide et bien durable entre nos deux cours.

Je ne vous demande qu'une réponse catégorique là-dessus, moyennant laquelle le roi de Pologne verra que je ne souhaite moi-même que la conservation de ses sujets, et le rétablissement d'une amitié durable avec mes voisins. Il ne dépendra que de lui de la cultiver à l'avenir, et d'en retirer plus d'avantage que de celle de ses autres alliés.

Je vous prie de vous employer, avec toute la dextérité que je vous connais, à finir cette négociation, qui répond si bien aux intentions du roi votre maître, en rétablissant la paix de l'Allemagne, et en apaisant une guerre entre deux voisins, qui ne laisserait pas que d'être ruineuse et funeste aux deux parties belligérantes.

Vous pouvez compter que de votre négociation dépendra le sort de la Saxe.

Je suis avec des sentiments d'estime,



Monsieur,

Votre bien affectionné
Federic.

P. S. Je suis dans l'intention de faire la paix selon la convention de Hanovre. J'ai chassé les Autrichiens de la Saxe; ainsi il ne s'agit plus de les renvoyer. Mais que le roi de Pologne se déclare, sous la garantie de l'Angleterre, d'accepter cette convention, ou avec la cour de Vienne, ou séparément, alors les hostilités cesseront. Vous sentez bien que je veux des sûretés, et que ce que je demande est conforme à la justice et au bon sens; et je veux agir à jeu sûr.

<195>

V. LETTRE DE M. DE VILLIERS A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

De Dresde, le 4 décembre 1745.



Sire,

Je reçus, le 3 du courant, les ordres de Votre Majesté du 1er; et, pour m'y conformer sans perte de temps, je priai les ministres d'État, chargés du soin de ce gouvernement pendant l'absence de leur souverain, de s'assembler.

Je leur fis rapport des déclarations de Votre Majesté touchant le rétablissement d'une parfaite harmonie entre les deux cours : et dans cet instant je reçois de leur part la déclaration ci-jointe. J'ose avancer, Sire, que j'ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour qu'elle fût conforme aux désirs que Votre Majesté a daigné me marquer, non seulement pour le rétablissement d'une amitié solide entre les deux cours, mais aussi pour remettre la tranquillité en Allemagne, et que l'intention de cette cour répond parfaitement à ces principes.

Il faut que j'avoue à Votre Majesté que je ne suis pas autorisé de garantir formellement cette déclaration au nom du roi mon maître, n'ayant des instructions que de m'exercer avec toute l'activité possible pour exhorter cette cour à consentir elle-même à la convention signée à Hanovre le 26 d'août (nouv. style) 1745, et à persuader celle de Vienne de l'accepter. Je ne saurais les <196>outrepasser; mais je peux déclarer que le roi mon maître n'a rien plus à cœur que de voir l'accomplissement de cette convention.

Je peux aussi ajouter que je suis convaincu que le roi de Pologne est sincèrement intentionné d'y accéder purement et simplement, et de vivre dans une parfaite amitié avec Votre Majesté. Si c'est trop présumer que d'offrir mes sentiments, je pèche par trop de zèle.

Je sens que je ne saurais mieux montrer que par le silence, la vénération avec laquelle je suis,



Sire,

de Votre Majesté
etc. etc.
Villiers.

<197>

VI. DÉCLARATION DU MINISTÈRE DE DRESDE, DU 3 DÉCEMBRE 1745 DONNÉE A M. DE VILLIERS.

Nous soussignés, ministres d'État de Sa Majesté le roi de Pologne, sommes très-obligés à M. l'envoyé d'Angleterre de la communication de la déclaration ultérieure de Sa Majesté Prussienne concernant la réconciliation proposée par M. le comte de Podewils.

Nous regrettons cependant en même temps beaucoup de ce que les trois points énoncés dans la première déclaration donnée d'ici à M. l'envoyé, n'ont point été aussi bien reçus qu'on l'avait espéré. Mais pour lever au possible tout doute, nous ne balançons pas un moment, dans l'absence du roi notre maître, de déclarer en son nom que Sa Majesté est non seulement disposée, mais prête à rétablir la bonne harmonie entre elle et Sa Majesté Prussienne sur le pied de la convention arrêtée à Hanovre le 15/26 d'août de l'année courante 1745.

En échange de quoi, elle se promet de la part de Sa Majesté Prussienne, suivant sa déclaration déjà faite, qu'elle fera cesser dès à présent toute hostilité et poursuite de marche : qu'elle n'exigera plus aucune livraison, ou contribution nouvelle ou ancienne, et bonifiera toutes celles qui pourraient déjà avoir été levées; qu'elle retirera aussi dès à présent toutes ses troupes des États du Roi, et ne les y arrêtera sous quelque prétexte que ce soit; <198>qu'elle évacuera tous les forts et places, et les rendra dans l'état qu'elles étaient avant leur occupation; qu'elle relâchera et fera restituer toutes les caisses saisies, soit royales ou particulières; qu'elle ne permettra pas qu'aucun tort soit fait dans la retraite, ni aux personnes qui sont au service du Roi, ni aux vassaux, ni à aucun sujet, soit en leurs personnes, soit en leurs biens, et qu'elle relâchera enfin sans rançon tous les prisonniers faits sur les troupes du Roi.

Ecrit à Dresde, ce 3 décembre 1745.

Signé

de Gersdorff.
comte de Zech.
comte de Hennicke.
de Rex.

<199>

VII. RÉPONSE DE SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE A LA LETTRE PRÉCÉDENTE DE M. DE VILLIERS.

Du quartier général de Bautzen, le 5 décembre 1745.



Monsieur,

Je ne sais qui, de moi ou des Saxons, vous sera le plus obligé du rétablissement de la paix. Le mal que je fais à mes voisins, se fait très à contre-cœur. Je suis forcé d'en venir à cette extrémité; mais je procure en même temps toutes les facilités qui dépendent de moi, au roi de Pologne pour sortir d'embarras.

Il sera donc nécessaire, pour mettre radicalement fin à cette funeste guerre, que le roi de Pologne expédie incessamment des pleins pouvoirs à un de ses ministres, pour lequel je vous envoie le passeport ci-joint.

J'ai expédié mes ordres à mon ministre du Cabinet, le comte de Podewils, pour se rendre incessamment ici; après quoi, l'on pourra dresser la convention convenablement; et, dès qu'elle sera ratifiée du roi de Pologne, je ferai cesser les hostilités, et j'évacuerai son pays, ses forteresses, etc.

Quant à l'article de la cessation des contributions et de l'indemnisation du dommage fait, les contributions ne peuvent cesser qu'après que le roi de Pologne aura ratifié les préliminaires dressés par nos ministres : et je peux aussi peu indemniser le roi de <200>Pologne des dommages de ses sujets, que lui et la reine de Hongrie m'indemniseront de ceux qu'ils m'ont faits et font encore actuellement en Silésie.

Vous me ferez plaisir, monsieur, d'accompagner le ministre saxon chargé des pleins pouvoirs de son maître. Cela me procurera la satisfaction de voir un homme que j'estime beaucoup, et qui, rempli des véritables sentiments qu'un ministre doit avoir, procure la paix et la tranquillité aux nations, en éteignant le flambeau de la Discorde et de la Guerre.

Je crois de plus que vous n'aurez point de temps à perdre, pour être muni de votre cour des pleins pouvoirs dont vous avez besoin pour la garantie de la Grande-Bretagne, et de faire que M. de Bestusheff et le ministre de Hollande agissent en conséquence.

Je regarde cette paix-ci comme la base de la pacification de l'Allemagne : ou la reine de Hongrie y accédera d'abord, ou elle ne tardera pas de le faire.

J'ai appris d'ailleurs avec douleur que le roi de Pologne a quitté sa capitale. C'est un affront qu'il fait à ma façon de penser : je l'ai toujours estimé personnellement, et dans le plus grand acharnement de la guerre on aurait respecté son caractère et sa famille. Vous pouvez assurer ce prince de la cordialité et de la sincérité de mes sentiments, et qu'il ne tiendra qu'à lui que désormais les deux cours vivent dans la plus étroite amitié. Je vous prie d'être assuré des sentiments d'estime avec lesquels etc.

Federic.

<201>

VIII. LETTRE DE M. DE VILLIERS A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

De Prague, le 9 décembre 1745.



Sire,

Pour exécuter moins mal les ordres de Votre Majesté, je me suis rendu auprès du roi de Pologne; c'est pourquoi je n'ai reçu qu'hier ceux dont Votre Majesté m'honore du 5 du courant. Je les ai communiqués sur-le-champ au comte de Brühl; et pour mieux convaincre Sa Majesté Polonaise des sentiments de Votre Majesté à son égard, j'ai même pris la liberté de lui donner un extrait de la lettre de Votre Majesté, croyant que ses expressions d'amitié auraient trop perdu par un rapport de ma part. Si en cela j'ai surpassé ses intentions, ce n'est qu'en les voulant mieux accomplir : il suffit que je les sache, pour les observer religieusement. Le comte de Brühl vient de me donner pour réponse le mémoire ci-joint.223-+ Votre Majesté a montré tant d'empressement à rétablir la tranquillité en Allemagne, elle entend si bien ses intérêts, et elle voit si clairement toutes les circonstances qui y ont rapport, qu'il ne m'est pas permis d'alléguer mes raisons là-dessus. J'ose seulement répéter que cette cour souhaite ardemment le rétablissement de la bonne harmonie avec celle de Votre Majesté, et de parvenir au but général que Votre Majesté se propose. <202>Il est donc à espérer qu'étant d'accord sur les principes, on le sera sur les moyens, et que le petit retardement dans l'envoi d'un ministre n'en causera presque aucun dans l'avancement de l'ouvrage, quoique le moindre délai ne saurait qu'affliger ceux qui souhaitent véritablement le bien.

Mon espérance est dans la grandeur d'âme de Votre Majesté : sa modération ne lui fera pas moins de gloire que ses victoires. Je dis peut-être trop, quoique je supprime plus que je ne dis. Je ne saurais exprimer l'impatience que j'ai de faire ma cour à Votre Majesté, et de mériter ce qu'elle a bien voulu dire sur mon sujet. J'espère qu'elle paraîtra par mon zèle pour son service, et par la dévotion avec laquelle je suis,



Sire,

de Votre Majesté
etc. etc.
Villiers.

P. S. Je n'ai pas manqué de marquer à ma cour ce que Votre Majesté m'a fait l'honneur de me dire touchant la garantie de la Grande-Bretagne. Je suivrai avec la même exactitude les ordres de Votre Majesté par rapport à M. de Bestusheff et au ministre de Hollande.

<203>

IX. MÉMOIRE DE LA COUR DE DRESDE, DONT IL EST FAIT MENTION DANS LA LETTRE PRÉCÉDENTE, SIGNÉ A PRAGUE LE 9 DÉCEMBRE 1745.

Sur ce que M. l'envoyé d'Angleterre a communiqué de la réponse reçue de Sa Majesté Prussienne, et dont rapport a été fait au roi de Pologne, Sa Majesté a ordonné de faire connaître audit ministre britannique qu'elle avait espéré, après avoir de son côté apporté tant de facilités pour le rétablissement d'un accommodement et de la bonne harmonie avec Sa Majesté Prussienne en se déclarant prête d'accéder à la convention de Hanovre, que ledit roi ne refuserait pas d'accepter les conditions ajoutées à cette déclaration amiable, c'est-à-dire, la cessation des hostilités, l'exaction des contributions demandées, et la restitution de celles qui ont déjà été levées.

Ce refus ne saurait qu'être d'autant plus sensible à Sa Majesté Polonaise, puisqu'il fait entrevoir la ruine de son pays, vu surtout la rigueur avec laquelle on presse le payement des contributions exigées, sans parler du monde qu'on enlève par force, des recrues qu'on exige du pays, et des autres molestations sans nombre qu'on exerce, malgré l'union des électeurs, des pactes de famille qui subsistent entre les deux maisons, et contre toutes les lois de l'Empire.

Sa Majesté Polonaise ne demande pas mieux que de se réconcilier sincèrement avec Sa Majesté Prussienne, et elle souhaiterait <204>que cela pût se faire conjointement avec Sa Majesté l'Impératrice : le moyen d'y parvenir n'est pas si l'on veut au préalable ruiner la Saxe d'une façon que de longues années elle ne pourra s'en relever.

C'est pousser les choses tellement à bout, que, ruine pour ruine, Sa Majesté Polonaise n'a pas besoin d'entrer dans un tel accommodement, devant en ce cas plutôt sacrifier jusqu'au dernier homme, et attendre à s'en dédommager dans la suite par le secours de ses alliés et de tout l'Empire.

D'ailleurs, si Sa Majesté Prussienne, qui connaît la source de cette guerre, aurait voulu ou voudrait encore entrer dans les justes désirs de Sa Majesté Polonaise, l'envoi d'un ministre, muni des pleins pouvoirs nécessaires pour arrêter raccommodement entre les deux cours, n'aurait pas souffert la moindre difficulté; et le Roi est tout prêt d'en expédier un aussitôt que Sa Majesté Prussienne voudra se déclarer plus favorablement sur les points ci-dessus mentionnés, et donner incessamment les ordres nécessaires pour ménager le pays.

Le Roi est du reste fort sensible aux sentiments d'estime que Sa Majesté Prussienne proteste lui porter. Il y répondra toujours parfaitement, et n'oubliera surtout jamais les égards dus à tout souverain, et plus encore aux têtes couronnées.

Aussi Sa Majesté, qui juge des autres souverains par elle-même, n'aurait-elle jamais quitté sa capitale et son pays pour se réfugier ici, si elle n'avait pas craint qu'on n'aurait pas plus de ménagement dans une guerre ouverte, qu'on en a eu dans les écrits qui l'ont précédée. D'ailleurs, elle répond à la politesse de Sa Majesté par toute la reconnaissance possible, et ne manquera pas, après la réitération de ces dignes sentiments pour la sûreté de sa capitale, d'y retourner.

Requérant ainsi M. l'envoyé d'Angleterre de faire part du contenu de ce mémoire à Sa Majesté Prussienne, on préparera éventuellement tout pour l'expédition d'un ministre, dans l'attente d'une réponse favorable.

Fait à Prague, ce 9 décembre 1745.

<205>

X. RÉPONSE DE SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE A M. DE VILLIERS.

Du quartier général de Bautzen, le 11 décembre 1745.



Monsieur,

Je ne puis assez me louer de l'empressement et de l'activité que vous témoignez pour proposer des paroles de paix et d'accommodement au roi de Pologne. Autant que j'ai lieu d'être satisfait, monsieur, de votre conduite, autant suis-je étonné que vous par vos soins infatigables, et moi avec tant de modération et les avantages de la fortune, nous ne puissions fléchir l'esprit irréconciliable de la cour de Dresde.

J'avoue qu'il était difficile de prévoir qu'une cour qui se croit obligée d'abandonner sa capitale, voulût prescrire des lois dures, dans le temps qu'on lui demande sincèrement son amitié et la paix. Il dépendra du roi de Pologne de la faire toutes fois et quand il voudra. Je suis de mon côté les lois de la guerre; et je vous répète ce que je vous ai dit dans ma lettre précédente, que, du jour de la signature du traité par le roi de Pologne, on fera cesser les hostilités et les contributions ultérieures.

Si la fortune avait favorisé les armes de mes ennemis, je ne sais point si l'on se serait contenté de faire contribuer mon pays, et si l'on n'y aurait pas tout mis à feu et à sang, en me demandant le sacrifice de provinces entières. Après cela, vous avouerez que mon procédé est bien plus humain, et que, si j'ai eu le bon<206>heur de déranger les projets dangereux que les cours de Vienne et de Dresde avaient formés contre moi, je n'use en tout que des droits de la guerre, et comme c'en est l'usage par toute l'Europe. S'il est vrai que le roi de Pologne veut éviter la ruine de ses États héréditaires, il me semble que le moyen le plus sûr pour la prévenir, est d'accepter la paix que j'offre si cordialement à ce prince; car, sans haine et sans animosité particulière, tout le monde conviendra que quatre-vingt mille hommes dans un pays comme la Saxe, ne peuvent pas manquer de le ruiner à la longue.

Mes mains sont innocentes de tout le mal qui en arrivera, et j'en atteste le ciel, à la face de toute l'Europe, que, si le roi de Pologne persiste dans son irréconciliabilité, personne ne pourra trouver à redire que, de mon côté, je me porte aux plus grandes extrémités. Pour l'amour de l'humanité, monsieur, employez tous vos soins pour que deux maisons voisines ne s'entre-déchirent point. Soyez l'organe de mes sentiments, comme vous êtes le dépositaire de mes intérêts, et sauvez la Saxe de ses calamités présentes, et du dernier des malheurs qui la menace. Je suis etc.

P. S. Le comte de Podewils est ici depuis hier; il attendra encore pour voir s'il n'y aura pas moyen de porter le ministère saxon à des sentiments plus justes et plus équitables. Que le roi de Pologne profite donc de mes dispositions, et qu'il ne me pousse point à bout.

Je vous enverrai demain mes remarques sur le mémoire du comte de Brühl : vous en ferez l'usage que vous trouverez le plus convenable; et, en cas que vous les croyiez moins propres à radoucir les esprits qu'à les aigrir, il dépendra de vous de n'en point faire usage à la cour.

En attendant, je pars pour donner une nouvelle activité à mes opérations et pourvoir à mes propres sûretés, soit en écrasant mes ennemis, ou en les obligeant à faire une paix raisonnable. Quoi qu'il puisse arriver, j'aurai toujours beaucoup de reconnaissance pour vos bons procédés; et si je puis vous être utile à votre cour, j'emploierai chaudement tout mon crédit pour vous prouver que vous n'avez pas servi un ingrat.

Federic

<207>

XI. LETTRE DE M. LE COMTE DE PODEWILS A M. DE VILLIERS.

De Bautzen, le 12 décembre 1745.



Monsieur,

J'ai l'honneur de vous communiquer, par ordre du roi mon maître, les Réflexions ci-jointes sur le mémoire que la cour de Saxe vous a remis en date de Prague, du 9 de ce mois.

Je suis persuadé, monsieur, qu'un ministre aussi éclairé et aussi bien intentionné que vous l'êtes, en fera le meilleur usage du monde.

Il me semble que le prompt envoi d'un ministre, muni des pleins pouvoirs suffisants de la cour où vous êtes pour la conclusion de la paix, avancerait de beaucoup un ouvrage si salutaire, et rapprocherait peut-être les esprits.

Serait-il possible que l'on méconnût assez ses véritables intérêts en Saxe, pour pousser le Roi à bout par la demande extraordinaire de la cessation des hostilités et des contributions avant la signature du traité de la paix? S'est-on jamais avisé de vouloir donner de cette façon-là les lois au vainqueur? et ne doit-on pas profiter en Saxe de la modération du Roi, de vouloir bien, malgré ses avantages, s'en tenir au simple rétablissement de la paix qu'on offre, et qu'on tient en main à la cour où vous êtes, en faisant <208>cesser toutes les calamités et tous les inconvénients de la guerre du jour même de la signature de la paix?

Au reste, monsieur, il paraît qu'on veut surprendre votre religion, en vous faisant accroire, par des imputations mal fondées, que le Roi veut la ruine de la Saxe, dont les habitants ne sauraient assez reconnaître le bon ordre et l'exacte discipline que Sa Majesté fait observer à ses troupes dans tout le pays qu'elle occupe, à la honte des alliés de la Saxe, qui l'ont ravagée partout où ils sont venus. Vous sentirez bien qu'on s'y prend tout autrement quand on veut ruiner un pays. Mais les contributions et l'entretien de l'armée font une partie trop essentielle des lois de la guerre qu'on nous a forcés de faire, pour y pouvoir trouvera redire tant qu'elle subsiste, surtout quand on est le maître, comme on l'est en Saxe, de les voir finir d'un jour à l'autre.

Enfin, redoublons nos soins pour jeter, par la paix avec la cour où vous êtes, les fondements de la tranquillité de l'Allemagne, et pour nous acquitter dignement l'un et l'autre de la tâche la plus glorieuse de notre ministère, qui est de contribuer, autant qu'il dépend de nous, au bonheur des nations. Mon séjour en ce pays-ci ne sera pas long; je serais au désespoir si mon voyage devenait entièrement infructueux, et si je devais me voir privé de la satisfaction de vous assurer de bouche qu'on ne saurait rien ajouter aux sentiments de considération et d'estime avec lesquels j'ai l'honneur d'être etc.

Le comte de Podewils.

<209>

XII. RÉFLEXIONS SUR LE MÉMOIRE DE LA COUR DE DRESDE.

Si le Roi a continué jusqu'ici de donner des preuves de sa modération et de son désir sincère de parvenir au rétablissement d'une paix solide et d'une bonne union et harmonie avec la cour de Dresde, par un traité dûment conclu, signé, et ratifié entre les deux puissances belligérantes, ainsi que l'usage et la nécessité, aussi bien que la sûreté réciproque des deux cours, l'exigent, Sa Majesté ne s'est point attendue qu'au lieu d'envoyer ici un ministre chargé des pleins pouvoirs suffisants pour achever d'autant plus promptement un ouvrage si salutaire, et finir les calamités d'une guerre que la cour de Dresde s'est attirée par sa propre faute, on voudrait les prolonger par la demande exorbitante et inusitée des restitutions et des redressements préalables de tous les inconvénients qui sont les suites ordinaires et inséparables d'une guerre à laquelle on a forcé le Roi par la conduite qu'on a tenue à Dresde à son égard, ainsi qu'il est connu de toute l'Europe.

On devrait savoir bon gré à la façon de penser du Roi, et reconnaître, comme la marque la plus éclatante de sa modération <210>et de ses sentiments pacifiques, que Sa Majesté, au lieu d'insister sur une indemnisation pleine et entière de l'invasion et des ravages faits par l'armée combinée autrichienne et saxonne en Silésie, par les contributions et les fourrages qu'on y a extorqués aux habitants, et par la ruine des plus riches contrées de ce duché, veut bien oublier tout le passé, et ne demande que la simple paix et la sûreté de ses États contre un voisin, qui, non content d'avoir envahi la Silésie, était sur le point d'en faire autant avec les secours étrangers qu'il avait appelés dans le cœur de ses pays, pour tomber sur les anciens États héréditaires de Sa Majesté, le fer et le feu à la main.

Si donc le Roi renonce généreusement à la juste demande, contre la Saxe, de toute indemnisation pour le passé, à plus forte raison celle-ci le doit-elle faire dans le cas présent, où elle ne saurait ignorer que les lois de la guerre autorisent pleinement les inconvénients dont on se plaint.

Tout ce qu'on peut exiger avec justice et raison d'un vainqueur, en pareille occasion, c'est de faire cesser les hostilités, les contributions et l'entretien de troupes, du jour même de la conclusion et de la signature de la paix : tel est l'usage une fois établi et constamment pratiqué entre tous les souverains qui sont en guerre, et dans tous les traités de paix qu'on conclut : vouloir s'en écarter, et insister opiniâtrement sur le contraire, c'est autant que de refuser tout accommodement raisonnable.

C'est la situation où les deux cours se trouvent; et les offres du Roi sur cet article justifient autant sa conduite, que le refus de la cour de Dresde d'y acquiescer, fait douter de sa sincérité pour un prompt accommodement. On a mauvaise grâce à Dresde d'en vouloir appeler à l'union des électeurs, aux pactes de famille qui subsistent entre les deux maisons, et aux lois de l'Empire : ces barrières respectables auraient dû arrêter et empêcher la cour de Saxe d'attaquer la première les États du Roi, et de leur préparer la ruine totale dont elle les a menacés assez publiquement. C'est pour le Roi, comme partie lésée et attaquée, que ces engagements et ces lois parlent contre ses ennemis et agresseurs, qui, après lui avoir fait tout le mal possible et manqué celui qu'ils lui <211>avaient préparé, doivent reconnaître leur tort, et se trouver bien heureux qu'on veut se contenter de passer l'éponge sur tout le passé, et donner les mains à une abolition réciproque de toute indemnisation. Cela se peut-il appeler pousser les choses à bout du côté du Roi, et en vouloir à la ruine totale d'un pays, que Sa Majesté souhaite avec tant d'ardeur de prévenir par une prompte conclusion de la paix, et par la cessation totale de toute hostilité et contribution, du jour même de la signature de la paix?

A qui en sera la faute, si la Saxe continue de souffrir les calamités d'une guerre défensive de la part du Roi, qui offre et qui presse de les finir par le simple rétablissement de la paix, sans exiger le moindre sacrifice ou dédommagement? Qui sera cause de la prolongation des troubles? Est-ce celui qui insiste sur un prompt raccommodement pour les faire cesser, ou celui qui le fait accrocher à des conditions que l'usage de toutes les guerres du monde n'admet point, et que les avantages du Roi rendent d'une nature à ne devoir pas même être proposées, si on a sincèrement envie de se raccommoder avec lui?

Au reste, si Sa Majesté le roi de Pologne souhaite, comme le Mémoire l'insinue, de se réconcilier sincèrement, de concert avec la cour de Vienne, avec le Roi, Sa Majesté n'en sera jamais éloignée, et on se souviendra qu'on a laissé le choix à la cour de Dresde de se raccommoder, ou conjointement ou séparément de celle de Vienne, avec le Roi, qui, de son côté, a apporté tant de facilités pour l'une et pour l'autre, qu'on peut hardiment défier toute l'Europe de pouvoir faire le moindre reproche à la sincérité de Sa Majesté et à la pureté de ses sentiments là-dessus.

Enfin, il faut espérer que la cour de Dresde, faisant réflexion sur la situation présente de ses affaires, et sur la dure nécessité où elle a réduit le Roi d'user de ses avantages pour se procurer toutes les sûretés imaginables, ne voudra plus différer l'envoi d'un ministre autorisé pour conclure promptement une paix si désirée et si nécessaire au bien des États réciproques, sans accrocher davantage une œuvre si salutaire, à des demandes incompatibles avec les lois de la guerre et l'usage pratiqué constamment en pareille occasion. Ce sera la pierre de touche de la sincérité de <212>la cour de Dresde; et si elle s'y refuse, on n'en saurait inférer d'autres conséquences, sinon qu'elle veut amuser le Roi, lui faire perdre ses avantages présents, et gagner assez de temps pour exécuter les vastes projets qu'on avait médités contre les États de Sa Majesté, et que la Providence divine et les glorieux succès des armes du Roi, ont jusqu'ici fait échouer si heureusement.

<213>

XIII. LETTRE DE M. DE VILLIERS A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

De Prague, le 13 décembre 1745



Sire,

En conséquence des ordres de Votre Majesté du 11 du courant, j'ai de nouveau représenté ici ses sentiments pour la paix et pour la personne du roi de Pologne, et je n'ai pas manqué non plus de faire voir la résolution où est Votre Majesté de continuer les opérations jusqu'à ce que l'accommodement soit assuré, et les malheurs qui en résulteront à la Saxe, quoique menée sans haine ou animosité et par des troupes dont la discipline, aussi bien que la bravoure, fait l'admiration de toute l'Europe. J'ai encore pris la liberté de me servir d'un extrait de la lettre de Votre Majesté, pour rendre avec précision et, énergie ce qu'elle désire pour le bien de l'Allemagne; et le comte de Brühl vient de me dire de faire savoir à Votre Majesté que le roi son maître a toujours l'esprit sincèrement porté à se réconcilier avec Votre Majesté, et qu'il enverra M. de Saul ce soir à Dresde, pour instruire son cabinet sur les instructions à donner au ministre qui sera employé pour cette négociation, et qu'on l'expédiera sans perte de temps.

Le roi de Pologne souhaite que j'aille avec lui; mon obéissance à ses ordres sera accompagnée du plus grand empressement à faire ma cour à Votre Majesté. Le comte de Brühl croit que ledit <214>ministre pourra partir vers samedi ou dimanche. En attendant, on reconnaît la nécessité de faire vivre les troupes; mais on se flatte que celles de Votre Majesté n'exigeront rien de plus.

Comme cette réponse paraît un acheminement à l'objet principal de Votre Majesté, je la lui communique sans attendre les remarques qu'elle a eu la bonté de dire qu'elle m'enverrait sur le Mémoire de cette cour, du 9 du courant.

Ses expressions pleines d'indulgence m'enhardissent à offrir à sa considération, si ce ne serait pas le moyen de perfectionner plus tôt cet ouvrage, et de le rendre plus solide, que d'engager la cour de Vienne à y entrer. Les discours que j'ai eus avec le comte de Harrach depuis que je suis ici, me donnent lieu d'espérer que l'on trouverait de la facilité du côté de sa maîtresse, prête à vivre dans une parfaite amitié avec Votre Majesté, pourvu que l'on puisse obtenir, à ce qu'il dit, quelque adoucissement aux articles de la convention de Hanovre. L'approbation de Votre Majesté augmenterait, si cela se pouvait, mon zèle pour son service; c'est une récompense bien au delà de mon mérite. L'étude de mes jours sera de la conserver, et de montrer la parfaite dévotion avec laquelle je suis,



Sire,

de Votre Majesté
le plus soumis et le plus fidèle serviteur,
Thomas Villiers.

<215>

XIV. RÉPONSE DE SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE A M. DE VILLIERS.

De Dresde, le 18 décembre 1745.



Monsieur,

J'ai été fort surpris de recevoir des propositions de paix le jour d'une bataille, et j'ai été convaincu suffisamment du peu de sincérité des ministres saxons par le retour du prince Charles de Lorraine en Saxe. La fortune, qui a secondé ma cause, m'a mis en état de ressentir ces sortes de procédés bien vivement; mais, bien loin de penser de cette façon-là, j'offre encore pour la dernière fois mon amitié au roi de Pologne. Mes succès ne m'aveuglent point; et, quoique j'aurais raison d'être enflé de ma situation, je suis toujours dans les sentiments de préférer la paix à la guerre, et j'attends que M. de Bülow et M. de Rex ayent leurs pleins pouvoirs, pour que le comte de Podewils, qui arrivera ce soir ou demain ici, puisse entrer d'abord en conférence avec eux.

D'ailleurs, je ne puis pas vous cacher ma surprise de ce qu'un ministre anglais puisse me conseiller de me départir d'un traité que j'ai fait avec le roi son maître, et que la Grande-Bretagne a garanti. Vous me verrez plutôt périr, moi et toute mon armée, que de me relâcher sur la moindre minutie de ce traité. Si la reine de Hongrie veut donc enfin faire une fois la paix, je suis prêt de la signer, selon la convention de Hanovre; et si elle le refuse en<216>tièrement, je me verrai en droit de hausser mes prétentions contre elle.

Apportez-moi donc les dernières résolutions du roi de Pologne; et que je sache s'il préfère la ruine totale de son pays à sa conservation, les sentiments de la haine à ceux de l'amitié, et, en un mot, s'il aime mieux attiser l'embrasement funeste de cette guerre, que de rétablir la paix avec ses voisins et pacifier l'Allemagne. Je suis, avec toute l'estime possible, etc.

Federic.


223-+ Voyez l'article suivant.