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II. RÉPONSE DE LA PROPRE MAIN DU ROI A L'EMPEREUR.

De Schönwalde, le 14 avril 1778.



Monsieur mon frère,

J'ai reçu avec toute la satisfaction possible la lettre que Votre Majesté Impériale a eu la bonté de m'écrire. Je n'ai ni ministre ni scribe avec moi; ainsi Votre Majesté Impériale voudra bien se contenter de la réponse d'un vieux soldat qui lui écrit avec probité et avec franchise sur un des sujets les plus importants que la politique ait fournis depuis longtemps. Personne plus que moi ne désire de maintenir la paix et la bonne harmonie entre les puissances de l'Europe; mais il y a des bornes à tout, et il se trouve des cas si épineux, que la bonne volonté ne suffit pas seule pour maintenir les choses dans le repos et la tranquillité. Que Votre Majesté me permette de lui exposer nettement l'état de la question de nos affaires actuelles. Il s'agit de savoir si un empereur peut disposer selon sa volonté des fiefs de l'Empire. Si l'on prend l'affirmative, tous ces fiefs deviennent des timars,208-a qui ne sont qu'à vie, et dont le sultan dispose après la mort du possesseur. Or, c'est ce qui est contraire aux lois, aux coutumes et aux usages de l'empire romain. Aucun prince n'y donnera les mains; chacun provoquera sur le droit féodal, qui assure ces possessions à ses descendants, et personne ne consentira à cimenter lui-même le pouvoir d'un despote qui tôt ou tard le dépouillera, lui et ses enfants, de ses possessions immémoriales. Voilà donc ce qui a fait crier tout le corps germanique contre la façon violente dont la Bavière vient d'être envahie. Moi, comme membre de l'Empire, et comme ayant rappelé la paix de Westphalie par le traité de Hubertsbourg, je me trouve directement engagé à soutenir les immunités, les libertés et les droits du corps germanique, les capitulations impériales, par lesquelles on limite le pouvoir du chef de l'Empire afin de prévenir les abus qu'il pourrait faire de <187>sa prééminence. Voilà, Sire, au vrai, l'état des choses. Mon intérêt personnel n'y est pour rien; mais je suis persuadé que Votre Majesté me regarderait elle-même comme un homme lâche et indigne de son estime, si je sacrifiais bassement les droits, immunités et priviléges que les électeurs et moi avons reçus de nos ancêtres. Je continue à lui parler avec la même franchise. J'aime et j'honore sa personne. Il me sera certainement dur de combattre contre un prince doué d'excellentes qualités, et que j'estime personnellement. Voici donc, selon mes faibles lumières, des idées que je soumets aux vues supérieures de Votre Majesté Impériale.

Je confesse que la Bavière, selon le droit de convenance, peut convenir à la maison impériale; mais comme, d'ailleurs, tout autre droit lui est contraire dans cette possession, ne pourrait-on pas, par des équivalents, satisfaire le duc de Deux-Ponts? Ne pourrait-on pas trouver de quoi indemniser l'électeur de Saxe sur les alleux de la succession de Bavière? Les Saxons font monter leurs prétentions à trente-sept millions de florins; mais ils en rabattraient bien quelque chose en faveur de la paix. C'est, Sire, à de telles propositions, en n'oubliant pas le duc de Mecklenbourg, que Votre Majesté Impériale me verrait concourir avec joie, parce qu'elles seraient conformes à ce que demandent mes devoirs et la place que j'occupe.

J'assure à Votre Majesté que je ne m'expliquerais pas avec mon frère avec plus de franchise que j'ai l'honneur de lui parler. Je la prie de faire ses réflexions sur tout ce que je prends la liberté de lui représenter; car voilà le fait dont il s'agit. La succession d'Ansbach y est tout à fait étrangère. Nos droits sont si légitimes, que personne ne peut nous les rendre litigieux. C'est ce van Swieten qui m'en parla, il y a, je crois, quatre à six ans, et qui me dit que la cour impériale serait bien aise s'il y avait quelque troc à proposer, parce que j'ôterais à sa cour la supériorité des voix dans le cercle de Franconie, et qu'on ne voudrait pas de mon voisinage près d'Éger en Bohême. Je lui répondis qu'on pouvait se tranquilliser encore, parce que le margrave d'Ansbach se portait bien, et qu'il y avait tout à parier qu'il me survivrait. Voilà tout ce qui s'est passé sur cette matière, et Votre Majesté Impériale peut être persuadée que je lui dis la vé<188>rité. Quant au dernier mémoire que j'ai reçu du prince Kaunitz, ledit prince paraît avoir eu de l'humeur en le dressant. La réponse ne pourra arriver ici qu'en huit jours. J'oppose mon flegme à ses vivacités, et j'attends surtout ce que Votre Majesté Impériale aura la bonté de décider sur les sincères représentations que je prends la liberté de lui faire, étant avec la plus haute estime et avec la plus haute considération,



Monsieur mon frère,

de Votre Majesté Impériale
le bon frère et cousin,
Federic.

S'il m'est arrivé de manquer au cérémonial, j'en fais mes excuses à Votre Majesté Impériale; mais, foi d'honneur, à quarante milles à la ronde il n'y a personne qui pourrait m'instruire.


208-a L'autographe porte timariots.