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CHAPITRE XIX.

L'esprit de système a été de tout temps un écueil fatal pour la raison humaine; il a donné le change à ceux qui ont cru saisir la vérité, et qui se sont infatués de quelque idée ingénieuse dont ils ont fait la base de leurs opinions; il les a préoccupés de préjugés qui seront toujours mortels à la recherche de la vérité, quels qu'ils soient, de sorte que les artisans de systèmes ont composé plutôt des romans qu'ils n'ont fait des démonstrations.

Les cieux planétaires des anciens, les tourbillons de Des Cartes et l'harmonie préétablie de Leibniz sont de ces erreurs d'esprit causées par l'esprit systématique. Ces philosophes ont prétendu faire la carte d'un pays qu'ils ne connaissaient point, et qu'ils ne s'étaient pas seulement donné la peine de reconnaître; ils ont su le nom de quelques villes et de quelques rivières, et ils les ont situées selon qu'il a plu à leur imagination. Il est arrivé ensuite, chose assez humiliante pour ces pauvres géographes, que des curieux ont voyagé dans ces pays si bien décrits; ces voyageurs ont eu deux guides, dont l'un s'appelle l'analogie, et l'autre, l'expérience, et ils ont trouvé, à leur grand étonnement, que ces villes, ces fleuves, ces situations et les distances des lieux étaient en tout différents de ce que les autres avaient débité.

La rage des systèmes n'a pas été la folie privilégiée des philosophes, elle l'est aussi devenue des politiques. Machiavel en est infecté plus que personne : il veut prouver qu'un prince doit être méchant et fourbe; ce sont là les paroles sacramentales de son