<254>premier bourgmestre de la ville avait la première voix dans le conseil, et y était fort estimé. Ce premier bourgmestre avait une femme dont il suivait aveuglément les conseils; une servante avait un ascendant absolu sur l'esprit de cette femme, et un chat sur l'esprit de la servante : c'était donc le chat qui gouvernait la ville.

Il y a cependant des occasions où il est même glorieux à un prince de changer de conduite, et il le doit même toutes les fois qu'il s'aperçoit de ses fautes. Si les princes étaient infaillibles comme le pape croit l'être, ils feraient bien d'avoir une fermeté stoïque sur leurs sentiments; mais comme ils ont toutes les faiblesses de l'humanité, ils doivent penser sans cesse à se corriger et à perfectionner leur conduite. Qu'on se ressouvienne que la fermeté outrée et l'opiniâtreté de Charles XII pensèrent le perdre à Bender, et que ce fut cette fermeté inébranlable qui ruina plus ses affaires que la perte de quelques batailles.

Voici d'autres erreurs de Machiavel. Il dit, « Qu'un prince ne manquera jamais de bonnes alliances, tant qu'on pourra faire fond sur ses armées; » et cela est faux, à moins que vous n'y ajoutiez : sur ses armées et sur sa parole; car l'armée dépend du prince, et c'est de son honnêteté ou de sa malhonnêteté que dépendent l'accomplissement des alliances et les mouvements de cette armée.

Mais voici une contradiction en forme. Le politique veut, « Qu'un prince se fasse aimer de ses sujets, pour éviter les conspirations; » et dans le chapitre dix-sept il dit, « Qu'un prince doit se faire craindre, puisqu'il peut compter sur une chose qui dépend de lui, et qu'il n'en est pas de même de l'amour des peuples. » Lequel des deux est le véritable sentiment de l'auteur? Il parle le langage des oracles, on peut l'interpréter comme on le veut; mais ce langage des oracles, soit dit en passant, est celui des fourbes.

Je dois dire, en général, à cette occasion, que les conjurations et les assassinats ne se commettent plus guère dans le monde; les princes sont en sûreté de ce côté-là, ces crimes sont usés, ils sont sortis de mode, et les raisons qu'en allègue Machiavel sont très-bonnes; il n'y a tout au plus que le fanatisme de quelques religieux qui puisse leur faire commettre un crime aussi épouvan-