<33>conviennent entre eux d'attacher un déshonneur à ceux qui, malgré leurs ordonnances, tentent de s'égorger dans ces combats singuliers, si, dis-je, ils ne conviennent pas de refuser tout asile à cette espèce de meurtriers, et de punir sévèrement ceux qui insulteront leurs pareils, soit en paroles, soit par écrit, ou par voies de fait, il n'y aura point de fin aux duels.

Qu'on ne m'accuse point d'avoir hérité des visions de l'abbé de Saint-Pierre :a je ne vois rien d'impossible à ce que des particuliers soumettent leurs querelles à la décision des juges, de même qu'ils y soumettent les différends qui décident de leurs fortunes; et par quelle raison les princes n'assembleraient-ils pas un congrès pour le bien de l'humanité, après en avoir fait tenir tant d'infructueux sur des sujets de moindre importance? J'en reviens là, et j'ose assurer que c'est le seul moyen d'abolir en Europe ce point d'honneur mal placé, qui a coûté la vie à tant d'honnêtes gens dont la patrie pouvait s'attendre aux plus grands services.

Telles sont en abrégé les réflexions que les lois m'ont fournies; je me suis borné à faire une esquisse au lieu d'un tableau, et je crains même de n'en avoir que trop dit.

Il me semble enfin que, chez des nations qui sortent à peine de la barbarie, il faut des législateurs sévères; que, chez les peuples policés, dont les mœurs sont douces, il faut des législateurs humains.

S'imaginer que les hommes sont tous des démons, et s'acharner sur eux avec cruauté, c'est la vision d'un misanthrope farouche; supposer que les hommes sont tous des anges, et leur abandonner la bride, c'est le rêve d'un capucin imbécile; croire qu'ils ne sont ni tous bons ni tous mauvais, récompenser les bonnes actions au delà de leur prix, punir les mauvaises au-dessous de ce qu'elles méritent, avoir de l'indulgence pour leurs faiblesses et de l'humanité pour tous, c'est comme en doit agir un homme raisonnable.


a L'abbé de Saint-Pierre, qui mourut le 29 avril 1743, avait envoyé, en 1742, au roi de Prusse un ouvrage sur la manière de rétablir la paix en Europe et de la consolider définitivement. Voyez les lettres de Frédéric à Voltaire et à Jordan, du 12 et du 15 avril 1742.