C.
Sur ce qui a été proposé par ordre de Sa Majesté Impériale aux membres de la conférence, tenue à la cour le 14 et le 15 mai [styli veteris], les soussignés ont donné leur avis suivant:

Comme, selon les avis que l'on a, et plus encore par l'expérience du temps passé, il est effectivement à craindre que le roi de Prusse pourrait parvenir à un nouveau degré d'accroissement de puissance par une nouvelle attaque d'un ou d'autre des alliés de Sa Majesté Impériale, par où en conséquence ledit Roi se rendrait encore plus redoutable et dangereux à cet empire-ci, on juge en général et sans contradiction qu'il est de la dernière nécessité de ne pas permettre qu'il y parvienne, mais que plutôt il faut tâcher de toutes forces de le réduire à l'état ancien et modique où il a été, dans lequel il ne nous sera pas tant à charge et dangereux. C'est pourquoi

2° L'assemblée dès à présent ordonnée par Sa Majesté Impériale de 60,000 hommes de troupes régulières sur les frontières de la Livonie est non seulement extrêmement nécessaire pour contenir en tranquillité et en bride ce plus proche voisin; mais encore sera-t-il nécessaire d'y joindre 4,000 Cosaques du Don, 1,000 Kalmouks de Tschougoujew et 500 Kalmouks des nouveaux baptisés de Stawropol, comme aussi de tenir prêt à cet effet tout ce qui sera besoin, en sorte qu'au cas que le roi de Prusse fît un jour quelques mouvements pour attaquer, soit l'Hanovre soit la Saxe, comme alliés de Sa Majesté Impériale, ledit corps de 60,000 hommes à assembler présentement sur les frontières de la Livonie puisse faire dès aussitôt de ce côté-ci une diversion en Prusse, sous le nom d'un corps auxiliaire, afin de tâcher par là défendre celui des alliés de Sa Majesté Impériale qui aurait été attaqué<86> par le roi de Prusse, et de ne pas permettre au roi de Prusse de parvenir à une plus grande puissance.

3° Quoiqu'il paraisse qu'un pareil corps de 60,000 hommes à envoyer pour faire alors une diversion en Prusse serait assez suffisant pour atteindre et exécuter le point de vue ci-dessus mentionné, savoir nommément d'empêcher le roi de Prusse de parvenir à un plus grand degré de puissance ou d'empêcher et de ne pas permettre que quelqu'un des alliés de Sa Majesté Impériale soit ruiné, la véritable sûreté et tranquillité des dominations de Sa Majesté Impériale ne demande cependant pas moins pour l'avenir que le roi de Prusse soit encore davantage remis dans ses anciennes bornes. C'est pourquoi il convient de tenir prêt, autant pour appuyer le corps qui de la manière susdite sera envoyé sur les frontières de la Livonie, pour être en état de faire une diversion, que pour la sûreté présente de ces frontières, lorsque ce premier corps se mettra en marche pour quitter ces frontières, un autre corps de 60,000 hommes de troupes régulières et d'irrégulières à proportion, selon que ces dernières pourraient être trouvées nécessaires, afin que cedit dernier corps puisse au plus tôt remplacer en partie le premier corps, lorsque celui-ci serait envoyé en Prusse, et en partie se trouver plus à portée et voisin pour appuyer le premier, et même afin qu'il puisse, selon que la nécessité le demanderait, être envoyé au plus tôt aux postes à ordonner.

4° Pour surplus de précaution on reconnaît et juge nécessaire d'avoir en même temps un corps d'observation de 30,000 hommes de troupes régulières en Finlande et de le tenir assemblé dans ces contrées, afin d'être en sûrêté contre les Suédois.

5° Il est extrêmement utile et nécessaire d'apprêter et d'entretenir autant de galères à Reval, pourvues de tout pour pouvoir mettre en mer, qu'il en serait nécessaire pour pouvoir y embarquer, en cas de besoin, 10,000 hommes.

6° Mais parcequ'il y a non seulement un déficit dans les troupes régulières qui présentement se trouvent sur pied dans les dominations de Sa Majesté Impériale et qui y peuvent être employées, mais puisqu'aussi en général dans le nombre des troupes régulières entretenues jusqu'ici il faut ajouter, pour compléter entièrement les trois corps susmentionnés, savoir celui de 60,000 hommes que l'on destine présentement sur les frontières de la Livonie, le second du même nombre pour réserve, et le troisième de 30,000 hommes à assembler en Finlande et dans ces contrées, lesquels trois corps font ensemble 150,000 hommes, il est premièrement de nécessité indispensable de compléter par des recrues ce qui manque présentement dans le nombre complet de l'armée entière, de la flotte et de l'artillerie; secondement, de faire venir de la Sibérie les deux régiments d'infanterie qui y sont, pour les avoir de là plus à portée ici; troisièmement, de faire revenir et joindre à leurs régiments tous ceux qui en sont absents, hors ceux qui ont des per<87>missions, lesquels on peut toujours avoir assez à temps, et par l'absence desquels les caisses profitent; comme aussi de faire joindre à la première occasion au corps de Finlande les quatre bataillons de Seewsky qui se trouvent présentement ici à Moscou. Mais malgré cela, pour suppléer entièrement à ce qui pourra manquer au nombre tout complet et à la formation complète des trois corps susmentionnés, il sera toujours nécessaire d'établir une levée de recrues et de fixer celle-ci sur un homme sur cent, à commencer le 1er novembre de cette année, vu qu'une pareille levée, selon un calcul en gros, ira toujours au delà de 60,000 hommes. Mais en exceptant de ceux-ci 30,000 pour rendre complet le nombre manquant du vrai complet, on pourra avec le reste rendre complet ce qui peut manquer au nombre complet des trois corps désignés ci-dessus.

7° Pour que le recruement devienne, s'il est possible, encore plus facile et moins onéreux à l'Empire, il serait salutaire d'enrôler tous les hommes capables de servir, qui jusqu'à présent se trouvent dispersés dans tout l'Empire dans les villes aux tribunaux et places de judicature où ils ont été distribués, de même que tant d'autres personnes pareilles propres à servir, et de remplacer leurs places par des invalides, et c'est ce que le Sénat doit examiner et en disposer.

8° Pour ce qui concerne le nombre susexprimé de recrues à lever par-dessus ce qui sera nécessaire à rendre complets les régiments, le très humble avis des soussignés est que l'augmentation de l'armée qui en résultera, soit uniquement restreinte au temps présent de la nécessité de brider le roi de Prusse, et que cette augmentation n'aura pas toujours lieu, mais que plutôt en après, et lorsqu'on aura vu premièrement qu'elle n'est plus nécessaire, cette augmentation ne doit servir que pour rendre par là ensuite complets les anciens régiments. Qu'en outre toute cette augmentation à faire ne doit pas servir pour en former de nouveaux régiments, savoir nommément que, parceque chaque régiment d'infanterie consiste en trois bataillons qui n'ont qu'une compagnie de grenadiers, pendant que l'extrême utilité des grenadiers est assez constatée, les esprits les plus faibles même sont obligés de convenir de la nécessité et de l'utilité de former dans chaque régiment d'infanterie une compagnie de grenadiers pour chaque bataillon, afin qu'il y en ait trois compagnies dans chaque régiment, chaque compagnie de 200 hommes tant nouveaux qu'anciens, joignant à chacune des dernières 50 hommes nouveaux. Pour ce qui regarde ces compagnies de grenadiers et leur nombre, il doit rester inaltérablement pour l'avenir, en le supputant ou comprenant dans le nombre auquel les régiments de trois bataillons sont établis et fixés actuellement.

9° Mais comme, après tout, et selon le calcul qu'on en a fait, il y aura encore un reste suffisant de recrues nouvellement à lever, on est d avis que, pour éviter des dépenses superflues, ce reste sera réparti auprès des régiments d'infanterie dans les compagnies des fantassins,<88> hors desquelles peut être tiré par la suite ce qui sera nécessaire en après pour tenir l'armée complète, comme il est dit ci-dessus.

10° En augmentant de cette manière chaque compagnie de grenadiers avec 50 hommes et la compagnie des fantassins avec autant d'hommes qu'il sera besoin selon la supputation à faire, il sera indispensablement besoin d'augmenter aussi le nombre de leurs officiers commandants et de leurs bas-officiers, nommément de mettre présentement chaque compagnie de grenadiers sur 200 hommes avec un lieutenant, un sous-lieutenant, un sergent, un capitaine d'armes et deux caporaux; chaque compagnie de fantassins avec un sous-lieutenant, un sergent, un capitaine d'armes et deux caporaux.

11° En augmentant de cette façon les compagnies et le nombre de ceux qui les commandent, il est encore inévitablement nécessaire d'y joindre encore un adjudant du régiment et un sous-chirurgien.

12° En augmentant les régiments, l'armée de Sa Majesté Impériale devient également plus forte. Par conséquent sera-t-il aussi extrêmement nécessaire d'augmenter le nombre des généraux commandants. C'est pourquoi on propose très respectueusement au gracieux bon plaisir et décision de Sa Majesté Impériale qu'il lui plaise d'ordonner — pour tenir l'armée en d'autant meilleur ordre et pour mieux pouvoir vaquer aux commandements qui pourront avoir lieu — d'augmenter aussi l'état jusqu'à présent fixé de la généralité, nommément, outre le général-feldzeugmeister, encore avec un général en chef, afin qu'il y en ait cinq avec les quatre précédemment établis; de joindre aux cinq lieutenantsgénéraux encore cinq autres, afin qu'il y en ait en tout dix; de joindre aux dix majors généraux encore autant, afin qu'il y en ait vingt, et aux dix brigadiers encore dix autres nouveaux.

13° En augmentant le nombre des hommes des régiments, il paraît être nécessaire d'augmenter aussi le nombre de l'artillerie qui se trouve auprès de chaque régiment, avec un haubitz et ses appartenances; comme aussi de faire telle augmentation de poudre à tirer afin d'exercer encore mieux les soldats; que la quantité fixée en soit toujours toute prête pour une armée entière dans les caissons, et que la première quantité de la poudre à tirer soit uniquement employée à l'exercice, et que pour tout cela on fixât une certaine somme. De plus laisse-t-on à la décision de Sa Majesté Impériale s'il ne lui plairait pas d'ordonner que le collège de guerre, examinant de concert avec la généralité ce qui serait le meilleur et le plus salutaire, établît les exercices sur un pied uniforme, et que lesdits exercices soient de même manière observés dans toute l'armée.

14° On formera des rapports séparés des dépenses qui seront causées par ces augmentations, aussi examinera-t-on de plus près par la suite s'il conviendra de défendre la sortie des grains de la Livonie.

15° Mais en même temps on est d'avis qu'à moins qu'on se mette effectivement dans un état aussi redoutable et puissant qu'il est détaillé<89> ci-dessus, il serait et incommode et dangereux de se charger tout seul de tout le poids de la diversion à faire en Prusse, si ce n'est qu'on fût d'avance assuré avec fondement et certitude par les ministres de Sa Majesté Impériale que les autres alliés, et nommément les cours de Vienne et de Saxe, ne resteront pas non plus en tranquillité de leur côté, mais qu'elles donnent en même temps leurs secours au roi d'Angleterre, selon leurs engagements, et agissent aussi contre la Prusse. A rencontre, dès aussitôt que nos forces se trouveront dans l'état qu'il est dit ci-dessus, on peut alors avec assurance non seulement — au cas que la Prusse attaque l'Hanovre — faire seul une diversion en Prusse, mais aussi on peut — lorsque, pour brider ce voisin inquiet et pour la sûreté de cet Empire à l'avenir, on le jugera nécessaire — de soi-même déclarer la guerre contre lui et la commencer.

16° Les soussignés ont encore examiné si par là il n'y aurait pas de danger à craindre de l'autre côté et nommément des Turcs, au cas que l'on assemblât, comme il est dit ci-dessus, tant de forces régulières seulement vers les côtes de la Baltique; mais on trouve que les 20 régiments de milice qui sont de ce côté et encore 5 régiments de dragons et toute l'armée de l'Ukraine, tout comme aussi les régiments Saporogiens et Slobodiens, sont suffisants pour la sûreté de ces contrées.

Pour le reste ils soumettent tout ceci très humblement au souverain bon plaisir et ordres de Sa Majesté Impériale.

Était signé:

Comte Alexei Bestushew-Rumin. Knès N. Trubezkoi. Alexandre Buturlin. Comte Michaila Woronzow. Knès Boris Jusupow. Stephan Apraxin. Comte Alexandre Schuwalow. Comte Pierre Schuwalow. Piètre Sumorokow. Knès Jacob Schachowskoi. Iwan Bachmetow. Knès Iwan Schtscherbatow. Knès Alexei Golizyn. Knès Iwan Odujewski. Wassili Suworow. Iwan Poguwischnikow. Adam Olsuwiew. Knès Michaila Beloselskoi.

Pour présenter l'avis ci-dessus à Sa Majesté Impériale, on l'a remis, cacheté sous une enveloppe, au comte Alexandre Iwanowitz Schuwalow le même jour de la conférence, c'est-à-dire le 15/26 mai 1753 styli novi.