6113. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A FONTAINEBLEAU.

Potsdam, 24 novembre 1753.

La dépêche que vous m'avez faite du 11 de ce mois, m'a été fidèlement rendue. La faiblesse du gouvernement de la France n'est, hélas, que trop reconnue des puissances ennemies et jalouses d'elle, et il est bien à regretter que le roi d'Angleterre ne compte que trop làdessus dans les démarches qu'il fait, et qui, à parler vrai, ne tendent proprement qu'à humilier la France et à lui ôter absolument toute influence dans les grandes affaires de l'Europe,161-1 en quoi ledit Prince n'est pas mal servi par les dissensions intérieures qui déchirent actuellement la France.161-2 Malgré cela, dans la situation présente où je me trouve, ce ne sera pas de ma faute qu'au cas que l'Angleterre, soufflée par la cour de Vienne, me pousse trop, je parvienne, bon gré mal gré moi, à une nouvelle guerre, dont le contre-coup se ressentira à la France, quand même elle la ferait de mauvaise grâce. Marquez-moi, je vous prie, si les ministres de France ne songent pas que la France pourrait être entraînée, bon gré mal gré qu'elle en ait, en guerre, et, s'ils y songent et qu'ils n'en aient pas l'envie, je devais croire qu'ils travailleraient de toutes leurs forces afin de la contrecarrer.

J'ai été extrêmement surpris de voir par votre dépêche qu'un ministre tel que M. de Contest est aussi mal informé des véritables forces de la Russie; il a des Chétardie, des d'Aillon161-3 et d'autres personnes en France qui ont été en Russie, desquels il n'a qu'à prendre des informations là-dessus et leur demander si je lui ai imposé à ce sujet. Aussi, comme il m'est arrivé justement la répartition tout nouvellement faite des troupes de l'armée de Russie pour les quartiers d hiver de cette année-ci161-4 qu'un ministre d'une cour étrangère à Moscou a envoyée à sa cour, et qui vient de m'être communiquée confidemment, je vous la fais envoyer sous une enveloppe particulière, sous l'adresse du banquier Splitgerber à son correspondant de Paris, afin de ne point exposer votre chiffre, à laquelle je fais joindre un sommaire, écrit de la main propre de votre frère,161-5 du nombre des forces de l'armée de Russie, pièces dont vous ne laisserez pas de faire votre usage auprès de M. de Contest, en lui en assurant l'authenticité.

Au reste, j'ai la satisfaction de vous dire que le voyage que le prince Ferdinand de Brunswick a fait à Copenhague, a été d'un assez<162> heureux succès, et que les affaires là commencent à prendre une tournure très favorable, de sorte que j'ai tout lieu d'espérer que l'affaire assez fâcheuse par rapport à la Comtesse162-1 se terminera à la satisfaction réciproque de la cour danoise et de la mienne. Selon le plan que la cour de Copenhague s'est fait, elle travaillera désormais à réconcilier le comte de Bentinck et sa femme; elle prendra pour base les articles d'accommodement projeté déjà du temps que feu M. de Tyrconnell résidait à Berlin,162-2 et engagera d'ailleurs le comte de Bentinck à proposer et fournir les sûretés nécessaires. Elle recourra en tout ceci aux bons offices de la France, pour faire agréer cet arrangement à moi et à elle, et mènera les choses par son entremise à une issue heureuse. Quant à moi, je n'y mettrai aucune opposition en tout ceci et tâcherai de faciliter en tout cette affaire, pour la voir finir une bonne fois, d'autant plus que j'ai lieu d'espérer de pouvoir convenir alors avec le Danemark d'un traité d'amitié et de neutralité,162-3 pour le conserver dans le bon système, ce qui, dans la situation présente où je me trouve, serait un coup assez bon à mon égard. J'ai ordonné à mes ministres, au reste, de vous informer plus amplement et en détail sur tout ce qui regarde l'affaire de la Bentinck et la façon dont le Danemark pense la finir.

Federic.

Nach dem Concept.



161-1 Vergl. S. 148.

161-2 Vergl. S. 167.

161-3 Vergl. Bd. III, 383. 386; IV, 393; V, 557; VI, 1.

161-4 Vergl. S. 171. 172.

161-5 Feldmarschall Keith.

162-1 Gräfin Bentinck. Vergl. S. 129. 130.

162-2 Vergl. Bd. VIII, 300. 375.

162-3 Vergl. Bd. VIII, 439.