6689. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.

Potsdam, 15 mars 1755.

J'ai reçu l'ordinaire dernier vos dépêches du 28 de février et du 3 de ce mois, au sujet desquelles je vous dirai avant tout que je désire extrêmement de savoir tout à clair sur quel pied la France est actuellement avec l'Espagne, et ce qu'elle en saurait attendre, au cas que la guerre entre elle et l'Angleterre serait inévitable. Vous devez ainsi tâcher de votre mieux de pouvoir m'en informer le plus exactement et de manière que j'y puisse compter. Mais, pour y parvenir vous-même, il ne faut pas que vous vous adressiez directement au sieur de Rouillé, parcequ'il ne vous en dira plus qu'il ne veut que vous en sachiez, mais plutôt à d'autres qui en pourront être bien instruits, et encore au ministre d'Espagne,86-5 pour avoir des notices les plus justes sur cet article.

<87>

Je suis bien fâché d'apprendre que le maréchal de Lœwendahl a pris la résolution de quitter le service de France87-1 pour entrer à celui de Venise; je ne présume pas qu'il s'en voudra laisser détourner, et j'ai, d'ailleurs, des soupçons que c'est peut-être le prince de Conty qui a contribué aux froideurs que le Roi lui a marquées. Il pourra arriver, cependant, un temps où l'on regrettera bien de l'avoir perdu.

Comme vous m'annoncez pour certain que le parti est pris de faire mettre à la voile l'escadre à Brest87-2 à la fin du mois d'avril, il faudra voir présentement ce que le ministère de France a dans le ventre; car il s'avance trop et tant par là qu'il ne saurait pas reculer sans s'exposer au grand mépris, s'il le voulait après ces ostentations. A quelle occasion, il me vient dans l'esprit que peut-être le désastre qu'a essuyé le sieur de Bussy,87-3 lui est arrivé de ce qu'il a inspiré le conseil à M. de Rouillé de tenir ferme contre l'Angleterre et de la rendre docile au moyen d'une démonstration de l'armement naval, mais que, cet avis ayant opéré un effet tout contraire,87-4 on l'a ressenti contre lui en le privant du département qui regarde les affaires anglaises. Vous observerez que je ne vous donne tout ceci que comme une simple conjecture, de laquelle il ne faut pas qu'il en transpire quelque chose.

Au reste, je serais extrêmement surpris, si, dans les circonstances présentes des affaires, la cour de France voulait pointiller envers la Porte et accrocher le départ du sieur Vergennes87-5 pour savoir au préalable quel ministre le Grand-Seigneur enverra pour notifier son avènement au trône, dans un temps où il lui est de la dernière conséquence d'avoir un ministre à la Porte, auquel, le cas le demandant, on. saura toujours envoyer les patentes d'ambassadeur.87-6

Federic.

Nach dem Concept.



86-5 Soto-Mayor.

87-1 Vergl. Bd. X, 275.

87-2 Vergl. S. 65.

87-3 Vergl. S. 78.

87-4 Vergl. S. 43.

87-5 Vergl. S. 62.

87-6 Vergl. S. 41.