7923. REMARQUES SUR LA RÉPONSE DE LA COUR DE VIENNE.

<286><287><288><289><290>

Réponse au mémoire présenté par M. de Klinggræffen le 20 août 1756.285-3

Sa Majesté le roi de Prusse était déjà occupée depuis quelque temps de toutes les espèces de préparatifs de guerre les plus considérables et les plus inquiétantes pour le repos public, lorsque, le

[Potsdam, août 1756.]

26 du mois dernier,286-1 ce Prince jugea à propos de faire demander des éclaircissements à Sa Majesté l'Impératrice-Reine sur les dispositions militaires qui se faisaient dans ses Etats, et qui ne venaient d'être résolues que d'après tous les préparatifs qu'avait déjà faits Sa Majesté Prussienne.

 

Ce286-2 sont des faits à la connaissance de.toute l'Europe.

Ces faits286-3 sont si différents de ce que la cour de Vienne les annonce, que l'on se voit obligé d'en donner les éclaircissements. Au mois de juin, sur la nouvelle des grands armements de la Russie, le Roi fit passer quatre régiments de son Électorat en Poméranie,286-4 et Sa Majesté donna des ordres pour que ses forteresses fussent mises en état de défense.286-5 Voici ce qui cause de si grands ombrages à la cour de Vienne qu'elle donne des ordres pour assembler tant en Bohême qu'en Moravie une armée de 90,000 hommes. Si l'Impératrice avait fait filer des troupes de

 

Bohême en Toscane, le Roi auraitil eu lieu d'avoir des appréhensions pour la Silésie et d'y assembler une armée nombreuse? On voit donc clairement que la marche de ces quatre régiments pour la Poméranie n'a servi que de prétexte à la cour de Vienne pour mettre au jour sa mauvaise volonté. Sur la nouvelle de l'assemblée de l'armée autrichienne en Bohême, le Roi fit filer vers Halberstadt trois régiments d'infanterie qui avaient été en quartiers en Westphalie,287-1 et pour éviter tout ce qui pourrait donner de l'ombrage à la cour de Vienne, il n'a pas passé un seul régiment en Silésie, et les troupes sont restées tranquilles dans leurs garnisons, sans même avoir les chevaux et les autres besoins nécessaires à une armée qui veut camper ou qui a des desseins d'invasion. Mais la cour de Vienne, continuant de tenir un langage pacifique, et de l'autre [côté] de prendre les mesures les plus sérieuses pour la guerre, non contente de toutes ces démonstrations, fit tracer un camp auprès d'une ville nommée Hotzenplotz,287-2 située sur une lisière de pays à la vérité leur appartenante, mais qui se trouve immédiatement entre les forteresses de Neisse et de Cosel; de plus, son armée de Bohême se prépare à occuper le camp de Jaromir à quatre milles de la Silésie. Sur toutes ces nouvelles, le Roi a cru qu'il était temps de prendre des arrangements pour sa sûreté, et que sa dignité exigeait de lui, et il donna des ordres pour que l'armée se pourvût de chevaux

Sa Majesté l'Impératrice-Reine aurait pu se dispenser, moyennant cela, de donner des éclaircissements sur des objets qui n'en avaient pas besoin; elle a bien voulu le faire néanmoins et déclarer ellemême pour cet effet à M. de Klinggræffen dans l'audience qu'elle lui accorda ledit 26 de juillet :

„Que l'état critique des affaires générales lui avait fait envisager les mesures qu'elle prenait, comme nécessaires pour sa sûreté et celle de ses alliés, et qu'elles ne tendaient d'ailleurs au préjudice de qui que ce soit.“

Sa Majesté l'Impératrice-Reine est sans doute en droit de porter tel jugement qu'il lui plaît sur les circonstances du temps, et il n'appartient de même qu'à Elle d'évaluer ses dangers.

D'ailleurs sa déclaration est si claire qu'elle n'aurait jamais imaginé qu'elle pût ne point être trouvée telle.

Accoutumée à éprouver, ainsi qu'à observer les égards que se doivent les souverains, elle n'a donc pu apprendre qu'avec étonnement et la plus juste sensibilité le contenu du mémoire présenté par M. de Klinggrœrïen le 20 du courant, dont elle s'est fait rendre compte.

et se tînt prête à marcher, afin de ne pas dépendre de la discrétion d'une cour aussi bien intentionnée pour ses intérêts que celle de Vienne. Si Sa Majesté avait eu quelque dessein, formé contre l'Impératrice, il y a deux mois qu'il l'aurait pu exécuter sans peine,288-1 lorsque d'aussi fortes armées n'étaient pas assemblées; mais le Roi négocie, tandis que ses ennemis s'arment, il ne fait que suivre les mesures des Autrichiens; ainsi il est clair que la mauvaise volonté de la cour de Vienne paraît à présent dans tout son jour.

Cette288-2 déclaration si claire ne laisse pas que d'être intelligible; car on demande : quels sont les alliés de l'Impératrice menacés de la guerre? Est-ce la France: Est-ce la Russie? En vérité, il faudrait s'aveugler étrangement, que de supposer au Roi les desseins d'attaquer ou la France ou la Russie, et certainement il faudrait un peu plus que quatre régiments marchés en Poméranie, pour entreprendre un pareil dessein; mais la cour de Vienne dit qu'elle ne veut attaquer personne, lui en aurait-il coûté davantage de dire qu'elle ne voulait pas attaquer le Roi nommément?

Ce mémoire est tel, quant au fond, ainsi que quant aux expressions, que Sa Majesté l'Impératrice-Reine se venait dans la nécessité de sortir des bornes de modération qu'Elle s'est prescrite, si Elle répondait à tout ce qu'il contient.

Ce mémoire a288-3 paru très désagréable à une cour qui n'a288-4 aucune envie de donner à son voisin des assurances de la pureté de ses intentions.

Mais Elle veut bien encore cependant qu'en réponse on déclare ultérieurement à M. de Klinggrfen :

„Que les informations que l'on a données à Sa Majesté Prussienne d'une alliance offensive contre Elle entre Sa Majesté l'Impératrice-Reine et Sa Majesté l'impératrice de Russie, ainsi que toutes les circonstances et prétendues stipulations de ladite alliance289-1 sont absolument fausses et controuvées, et que pareil traité contre Sa Majesté Prussienne n'existe point et n'a jamais existé.“

Cette déclaration mettra toute l'Europe à portée de juger de quelle valeur et qualité seraient les fâcheux évènements qu'annonce le mémoire de M. de Klinggræffen, et de voir qu'en tout cas ils ne pourront jamais être imputés à Sa Majesté l'Impératrice-Reine.

Et c'est ce que par ordre exprès de Sa Majesté l'Impératrice-Reine on est chargé de faire connaître à M. de Klinggræffen en réponse de son mémoire.

Il289-2 est facile à la cour de Vienne de nier cette convention; mais, outre les faits qu'on en débite, il y a des indices suffisants qui semblent cependant indiquer ce concert. Au commencement de juin, les troupes russes s'approchèrent des frontières de la Prusse.289-3 Une armée de 70,000 hommes s'assemblait en Livonie. Dans le même temps, on se préparait à Vienne pour assembler une forte armée en Bohême, qui devait y paraître sous le nom d'armée d'observation. Sur la mi-juin, les troupes russes reçurent ordre de retourner dans leurs quartiers,289-4 et les camps autrichiens furent différés jusqu'à l'année qui vient. Malgré ces soupçons et ces indices, on aurait été bien aise d'apprendre de la cour de Vienne qu'elle nie des projets qui ne feraient pas honneur à sa modération, si elle avait bien voulu y ajouter un mot de réponse sur

 

la demande qu'on lui a faite; il s'agit de donner des assurances qu'on n'attaquera pas le Roi, et c'est à quoi on ne répond pas. Ce silence ne fait-il pas voir suffisamment où visent les desseins de la cour de Vienne? Aussi ne voit-on que trop combien ses paroles et ses actions se contredisent: un langage pacifique, et des camps de 90,000 hommes sur les frontières de la Silésie; un éloignement simulé pour la guerre, et un déni d'assurances positives que l'on se croit en droit d'exiger!

On demande laquelle des deux puissances désire la guerre, ou celle dont de fortes armées campent sur les frontières de son voisin, ou celle dont les troupes sont tranquilles dans leurs quartiers? On voit, par la réponse fière et méprisante que contient ce mémoire, que la cour de Vienne, bien loin de désirer la paix, ne respire que la guerre, et qu'elle se propose par des chicanes et des hauteurs continuelles d'y pousser le Roi, afin d'avoir un prétexte de réclamer l'assistance de ses alliés. Mais on ne croit pas que ses alliés lui aient promis des secours, pour autoriser l'injustice de ses procédés et pour empêcher le Roi de prévenir les desseins de la cour de Vienne, qui sont si clairs qu'en ne donnant pas les assurances au Roi qu'il lui demandait, il est sûr qu'elle a résolu de troubler le repos et la tranquillité dont l'Allemagne a joui jusqu'à présent.

Péroraison.

On devait s'attendre à une réponse satisfaisante de la part de la cour de Vienne; mais, comme sa réponse vague sert d'aveu tacite de tous les desseins qu'on lui attribue, l'Impératrice oblige le Roi à penser aux moyens de se défendre et de prévenir les desseins dont ses ennemis ne se cachent plus. C'est à cette occasion qu'il faut avertir de ne pas confondre les hostilités avec l'agression. Celui qui forme le premier dessein d'attaquer son voisin, rompt les engagements qu'il a pris par la paix, il trame, il conspire; c'est en quoi consiste l'agression véritable. Celui qui en est instruit et qui s'abandonne à la discrétion de son ennemi, est un lâche; celui qui prévient son ennemi, commet les premières hostilités, mais il n'est pas l'agresseur.

Puisque donc la cour de Vienne veut enfreindre des traités garantis par toutes les puissances de l'Europe, puisqu'elle se propose de violer impunément ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes, de bouleverser l'Empire Germanique, cette république de princes que le devoir des empereurs est de maintenir, le Roi a résolu de prévenir les suites funestes de ce projet odieux. Ce Prince déclare que les libertés du Corps Germanique ne seront ensevelies qu'en un même tombeau avec la Prusse. Sa Majesté prend le ciel à témoin qu'après avoir employé les moyens les plus propres pour préserver l'Allemagne et ses propres États des fléaux de la guerre dont ils étaient menacés, elle a été forcée de prendre les armes pour s'opposer à une conspiration tramée contre ses provinces et son royaume; qu'après avoir<291> épuisé toutes les voies de conciliation jusqu'à rendre l'Impératrice-Reine l'arbitre de la paix et de la guerre, elle ne s'écarte à cette heure de sa modération ordinaire qu'à cause qu'elle cesse d'être une vertu, lorsqu'il s'agit de défendre son honneur, son indépendance, sa patrie et sa couronne.


Nach der eigenhändigen zweiten Redaction.



285-3 Klinggräffen's Mémoire vom 18. August, das am 20. August überreicht wurde, hatte die durch den Erlass des Königs vom 2. August (Nr. 7795) dem Gesandten befohlenen Eröffnungen an den wiener Hof zusammengefasst. Vergl. den Bericht Klinggräffen's Nr. 7914.

286-1 Vergl. Nr. 7795 S. 163.

286-2 Alles folgende gesperrt Gedruckte in der Vorlage vom Könige unterstrichen.

286-3 Den „Remarques“ des Königs zu der Antwort des wiener Hofes liegt ein — ebenfalls eigenhändiger — Entwurf in margine der von Klinggräffen eingesandten Antwort zu Grunde. In diesem Entwurf lautet der erste Abschnitt: „Ces faits sont si différents de ce que la cour de Vienne le prétend, que tous ces grands armements dont la cour de Vienne prend de si grands ombrages, ont consisté dans l'envoi de quatre régiments d'infanterie en Poméranie et de l'approvisionnement des forteresses de Silésie. Ces troupes qui marchaient pour la Poméranie, pouvaient donner aussi peu d'ombrage à la cour de Vienne, que le Roi aurait eu droit d'en prendre, si des régiments autrichiens avaient filé vers la Toscane : cependant, des régiments de la Hongrie, de Styrie et d'Italie marchèrent en Bohême. l'Impératrice y assembla des forces si considérables que le Roi se crut obligé de se renforcer par les troupes de la Westphalie. Les Autrichiens campèrent, tandis que l'armée prussienne n'était pas même rendue mobile; à la fin les Autrichiens firent tracer un camp auprès de la ville de Hotzenplotz, qui se trouve à la vérité située dans leur pays, mais dans une lisière très étroite qui s'étend entre les forteresses de Cosel et de Neisse; ils se préparent à occuper le camp de Jaromir situé à quatre milles de la Silésie. Sur ces derniers préparatifs ont été donnés les ordres aux troupe? de se pourvoir de chevaux et des autres besoins nécessaires; d'où il résulte clairement que le Roi, n'ayant pas fait marcher un homme en Silésie, pour ne point donner de justes ombrages à l'Impératrice-Reine, n'a pas eu intention de l'attaquer, lorsqu'il le pouvait avec avantage, c'est-à-dire, dans le temps que ses forces n'étaient aussi considérables qu'à présent en Bohême, et qu'ainsi la mauvaise volonté de la cour de Vienne paraît à présent dans tout son jour.“

286-4 Vergl. S. 5; Bd. XII, 463.

286-5 Vergl. S. 16—23. 119.

287-1 Vergl. S. 89.

287-2 Vergl. S. 243.

288-1 Vergl. S. 235.

288-2 Im ersten Entwurf lautet dieser Abschnitt: „Cette déclaration est si claire qu'on demanderait volontiers : quels sont ces alliés de l'Impératrice qui sont menacés de la guerre? et si, ayant des intentions pacifiques, il n'aurait pas été aussi facile à Sa Majesté Impériale d'y ajouter qu'elle n'avait aucune intention d'attaquer le Roi?“

288-3 Erster Entwurf: „doit avoir paru“ .

288-4 Erster Entwurf: „n'avait aucune“ .

289-1 Vergl. Nr. 7795 S. 164.

289-2 Das Folgende bis zur Péroraison lautet im ersten Entwurf: „On a bien cru que la cour de Vienne nierait cette convention; on aurait été bien aise de l'apprendre par sa bouche, si en même temps elle avait voulu y ajouter les assurances qu'on lui demandait; mais, comme elle ne répond point aux points essentiels du mémoire du sieur Klinggræffen, qui insiste sur des assurances que l'Impératrice-Reine n'attaquera le Roi ni pendant le cours de cette année, ni pendant la suivante, il est fâcheux que Sa Majesté se trouve trompée dans son attente; surtout en combinant les actions et les paroles de la cour de Vienne, on a bien de la peine à accorder ses paroles pacifiques avec ses démonstrations guerrières. En bonne foi, peut-elle prétendre que le Roi croie ses intentions pacifiques, lorsqu'une armée de 90,000 hommes campe en Moravie et en Bohême, sur les frontières de la Silésie, pendant que les troupes prussiennes se trouvaient encore dans leurs quartiers? Une puissance qui aurait désiré le maintien de la paix, aurait déclaré positivement qu'elle n avait aucun dessein d'attaquer son voisin, et l'on serait convenu amiablement de part et d'autre d'écarter ce qui réciproquement pouvait donner de l'ombrage et entretenir la défiance. Mais la modération de la cour de Vienne est d'autant plus feinte que, ne répondant au mémoire du sieur Klinggræffen qu'avec hauteur et mépris, sans toucher la partie essentielle, elle veut laisser assez de soupçons au Roi, pour lui donner lieu à commettre les premières hostilités, afin de pouvoir réclamer le secours de ses alliés, sous prétexte de l'agression commise par l'armée du Roi.“ Hier schliesst der erste Entwurf.

289-3 Vergl. Bd. XII, 427.

289-4 Vergl. S. 15. 41; Bd. XII, 479.