<351> plus loin que des princes et des rois? La fermeté consiste à s'opposer au malheur; mais il n'y a que des lâches qui fléchissent sous le joug, qui portent patiemment leurs chaînes et supportent tranquillement l'oppression. Jamais, ma chère sœur, je ne pourrai me résoudre à cette ignominie. L'honneur qui m'a poussé à exposer cent fois ma vie dans la guerre, m'a fait affronter la mort pour de moindres sujets que pour ceux-ci. La vie ne vaut certainement pas la peine qu'on s'y attache si fort, surtout quand on prévoit qu'elle ne sera désormais qu'un tissu de peines, et qu'il faudra se nourrir de ses larmes :

La douleur est un siècle et la mort un instant. Si je ne suivais que mon inclination, je me serais dépêché d'abord après la malheureuse bataille que j'ai perdue; mais j'ai senti que ce serait faiblesse, et que c'était mon devoir de réparer le mal qui était arrivé. Mon attachement à l'État s'est réveillé; je me suis dit : Ce n'est pas dans la bonne fortune qu'il est rare de trouver des défenseurs, mais c'est dans la mauvaise. Je me suis fait un point d'honneur de redresser tous les dérangements, à quoi j'ai encore réussi en dernier lieu en Lusace; mais à peine suis-je accouru de ce côté-ci pour m'opposer à de nouveaux ennemis, que Winterfeldt a été battu et tué auprès de Gœrlitz,1 que les Français entrent dans le cœur de mes États, que les Suédois bloquent Stettin.2 Il ne me reste à présent plus rien de bon à faire; ce sont trop d'ennemis. Quand même je réussirais à battre deux armées, la troisième m'écraserait. Vous verrez par le billet ci-joint3 ce que je tente encore; c'est le dernier essai. La reconnaissance, le tendre attachement que j'ai pour vous, cette amitié de vieille roche qui ne se dément jamais, m'oblige d'en agir sincèrement avec vous. Non, ma divine sœur, je ne vous cacherai aucune de mes démarches, je vous avertirai de tout; mes pensées, le fond de mon cœur, toutes mes résolutions, tout vous sera ouvert et connu à temps. Je ne précipiterai rien, mais aussi me sera-t-il impossible de changer de sentiments. Il est vrai qu'après la bataille de Prague, les affaires de la reine de Hongrie paraissaient hasardées; mais elle avait de puissants alliés et encore de grandes ressources; je n'ai ni l'un ni l'autre. Je ne serais pas abattu d'un malheur, j'en ai tant essuyé : les pertes des batailles de Kolin et celle, en Prusse, de Jägersdorf, la malheureuse retraite de mon frère et la perte du magasin de Zittau, la perte de toutes mes provinces de la Westphalie, le malheur et la mort de Winterfeldt, l'invasion en Poméranie, dans le Magdebourg et dans le pays de Halberstadt, l'abandon de mes alliés; et, malgré tout cela, je me roidis encore contre l'adversité, de sorte que je crois ma conduite jusqu'à présent exempte de toute



1 Vergl. S. 343. 345.

2 Die Nachricht ist verfrüht; erst im October erschienen einige schwedische Galeeren unter dem Oberst Adlerfelt im Haff, mit der Absicht, Stettin zu blokiren.

3 Die Beilage enthielt vermuthlich eine Mittheilung über die mit Richelieu angeknüpften Verhandlungen. Vergl. S. 334—336; vielleicht ist Nr. 9340 gemeint.