<394> constante, c'est vouloir qu'un chien ait des écailles, un dauphin des ailes, un vautour des cornes. Il faut que la fortune soit légère, qu'un papillon ait des ailes, que la tortue rampe, et que la baleine nage en pleine mer, et que, tant que Jupiter aura ses deux tonneaux dont il verse sur les humains des biens et des maux, que notre destinée soit mêlée, tantôt agréable et tantôt fâcheuse. Voilà comme les choses iront jusqu'à la fin des temps; la vie nous a été donnée à condition de nous soumettre à la destinée de notre espèce. Nous ne sommes point faits pour être chassés, comme les cerfs, par une meute qui les poursuit; nous n'avons point à craindre que le faucon fonde sur nous, comme sur une colombe, pour nous déchirer, mais nous devons nous attendre à avoir des ennemis dans le monde et à souffrir quelquefois tout ce que la malignité et la méchanceté de nos semblables peut inventer pour nous faire ressentir les effets de leur haine furieuse. Ces événements sont à l'esprit ce que les maladies sont au corps; quelquefois elles sont légères et n'effleurent que les parties les moins nécessaires à la vie, et quelquefois elles sont mortelles, lorsqu'elles attaquent la poitrine, le cœur ou les entrailles.

Voilà, ma chère sœur, ce que je me répète souvent. Je vous aurais peut-être ennuyé avec des raisonnements dans ce goût-là, si j'avais eu le bonheur de vous voir; mais je vous avoue que je suis bien aise que vous n'ayez pas entrepris ce voyage.1 Il était trop hasardeux, et il aurait réveillé contre vous le ressentiment de mes ennemis, qui paraît assoupi à présent, et qui, j'espère, pourra se dissiper tout-à-fait.

Le temps commence à devenir très mauvais; l'hiver, à ce qu'on assure, sera précoce, ce qui obligera toutes les armées à rentrer plus tôt qu'à l'ordinaire dans les quartiers d'hiver. Ainsi nous n'avons plus qu'un bout de campagne, qu'il faudra finir le mieux possible.

Je vous embrasse, ma chère, ma divine sœur, du fond de mon âme, vous assurant que ma vive tendresse, mon attachement et ma reconnaissance ne finiront qu'avec ma vie, étant, ma très chère sœur, votre très fidèle frère et serviteur

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.


9381. AU MINISTRE D'ÉTAT ET DE CABINET COMTE DE FINCKENSTEIN A BERLIN.

[Buttelstædt,] 1er octobre [1757].

%%Soli. J'ai reçu la lettre que vous m'avez faite avant-hier.2 Il serait sans doute à souhaiter que l'on pût faire la paix, selon qu'on la



1 Die Markgräfin hatte in einem Schreiben (ohne Datum) geäussert: „Si j'avais pu prévoir que votre séjour à Erfurt serait si long, je vous aurais supplié de me permettre d'y aller; je suis au désespoir de ne pas l'avoir fait.“

2 Dieser Bericht Finckenstein's liegt nicht vor.