9370. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH A BAIREUTH.

[Buttelstsedt, ]381-1 28 septembre 1757.

Ma très chère Sœur. Si quelque chose dans le monde pouvait me consoler encore, ce serait la tendre part que vous prenez à mes malheurs; mais, ma chère, mon adorable sœur, la mesure va dans peu se combler, et il ne s'en faut de peu que je ne me trouve dans la situation que vous dépeignez. Les ressources auxquelles vous me renvoyez, manquent, enfin il ne me reste plus que de mener cette campagne à sa fin, pour ne penser plus qu'à mon personnel. Vous verrez par la pièce ci-jointe381-2 le véritable état de tout, et vous pourrez en juger par vos propres yeux.

Je ne demande que la mort; la forme dont je la voudrais, semble se dérober à moi : peut-être même que cela ne dépendra pas longtemps de moi de l'avoir, comme je la désirerais. Jugez donc ce qui me reste, et du parti que doit prendre un homme d'honneur qui sa vie durant a pensé comme Caton, et qui veut mourir tel. Je n'ai qu'une seule porte pour m'échapper, ce serait cruel de me l'interdire; je souffre mille morts par jour, et une seule peut me délivrer de toutes mes souffrances. Si quelque chose était capable de me faire balancer dans mon parti,<382> c'est, je vous le jure, l'amitié que j'ai pour vous; mais, d'un autre côté, le monde me devient si insupportable, ma situation si affreuse et l'avenir si cruel que, loin de demeurer en suspens, je me confirme de jour en jour plus dans ma résolution une fois prise. Je suis engagé de finir cette campagne, je le ferai, quoi qu'il m'en coûte; mais une fois quitte envers ma patrie, à laquelle désormais je deviens inutile, je ne serai pas le tranquille spectateur de sa ruine, et un même jour nous verra périr. La première fois qu'on envisage ce parti, il paraît terrible; je m'y suis accoutumé, cette idée me paraît à présent douce et consolante : je donne à la nature ce qu'elle m'allait redemander dans peu, je troque un reste languissant de vie pour un repos que personne ne pourra me ravir. Est-ce la peine de balancer, et ne voit-on pas que je tire tout le profit d'une action louable et nécessaire dans les circonstances présentes? J'ai mis en vers toute la substance de la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire, je crois du 22 ou 23.382-1 Si j'en ai le temps un de ces jours, je prendrai la liberté de vous en envoyer copie. Enfin, ma chère sœur, je tâche d'adoucir le peu de temps qu'il me reste à vivre, pour finir le plus tranquillement que je le pourrai. Je vous conjure de penser que c'est mon unique bien, que c'est la seule façon qui me reste d'être heureux, que c'est un moment auquel il faut revenir tôt ou tard, et qu'une fois mort, ni l'envie, ni la haine, ni la méchanceté des hommes ne nous peut plus persécuter, et que même la foudre des dieux devient impuissante en frappant notre monument.

Je sens que le sujet de mes lettres est lugubre, et qu'il faut un fonds de stoïcisme pour en supporter la lecture; cependant, j'aime mieux vous ouvrir naturellement mon cœur, que de vous étaler de fausses maximes et de jouer l'heureux dans ma fortune maudite; oui, ma divine, oui, mon incomparable sœur, je pense haut devant vous, je vous confie tous les secrets de mon âme et toutes mes résolutions les plus cachées. Je sais que le parti que je prends, est bien éloigné de la religion chrétienne,382-2 et vous le dirai-je? je l'en aime d'autant mieux : tôt ou tard le public soupçonnera ma fin, il en glosera. Qu'importe? enfin, j'ai tout examiné, et je me suis tout représenté et tout dit; j'ai trouvé réponse à tout, il ne me reste donc qu'à attendre la fin de la vendange ou la première cuvée du vin, pour prendre congé de l'automne et de toute la boutique. Je mourrais content, si je pouvais vous laisser heureuse; mais je ne m'en flatte pas, je connais trop les bontés que vous avez pour moi, et la tendresse de la cœur unique dans l'univers. Enfin, ma chère sœur, je suis trop rempli de ces idées, pour penser et vous écrire d'autre chose. Soyez persuadée que, tant que je respirerai, ma recon<383> naissance, mon admiration et ma vive tendresse ne finiront pas, étant, ma très chère sœur, votre très fidèle frère et serviteur

Federic.

J'ai trouvé moyen de copier I'épître à d'Argens, je vous l'envoie, en vous suppliant d'en envoyer une copie à Voltaire, c'est ce que j'ai fait de même.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.



381-1 In der Vorlage: Buttstädt. Der König hatte das Hauptquartier nach Buttelstädt verlegt, einer Stadt 1½ Ml. nördl. von Weimar. Buttstädt liegt 2 1/8 Ml. nordostnördlich von Weimar.

381-2 Die Beilage fehlt.

382-1 Das Schreiben, auf welches sich der König bezieht, ist dasjenige vom 17. September, Nr. 9341. Das poetische Werk ist die „Epître au marquis d'Argens. Apologie du suicide.“ Vergl. XII, 50—56; Œuvres XIII, 153—159.

382-2 Vergl. die schon S. 305, Anm. 1 u. S. 353. Anm. 2 erwähnte Epistel an die Markgräfin von Baireuth in den Œuvres Bd. XII, S. 41 die Schlussverse.