9887. INSTRUCTION AU LIEUTENANT-GÉNÉRAL DOHNA.

Grüssau, 2 avril 1758. 346-1

Je vous ai donné le commandement de mon armée de Prusse,346-2 parceque j'ai la confiance en votre mérite que vous vous en acquitterez bien. Par cette raison, je vous défends, sous peine de la vie, de tenir conseil de guerre346-3 — dont il ne résulte que des partis lâches —, mais d'avoir en vous la même confiance que je crois y avoir bien placée. Il faut que vous vous donniez dans votre armée la même autorité que j'y exercerais, si j'y étais.346-4 Il y a des lieutenants-généraux qui, à la vérité, ont le même grade que vous, mais le commandement de l'armée fait l'intervalle de vous aux autres : c'est pourquoi vous les tiendrez à faire leur devoir, sans souffrir leurs représentations sur quoi que ce puisse être. Vous êtes élevé dans notre discipline, ainsi je ne dois pas vous recommander de la maintenir en vigueur, ainsi que la subordination.

Dans votre position présente, tâchez de finir les affaires de Mecklembourg le plus tôt possible,346-5 j'attends la livraison de recrues et de magasins et l'argent, pour que vous ayez vos troupes ensemble, et que vous puissiez, par conséquent, agir avec plus de liberté.

Ne vous fiez pas, durant la campagne, aux ordres que vous pourriez recevoir de moi, à cause que la nature de mes opérations nous ôtera toute connexion, et que vous serez obligé d'agir de tête. D'ailleurs, le fardeau du commandement de deux ou trois corps que j'ai de ce côté-ci, absorbera si fort mon attention que, si je voulais vous donner des avis sur vos opérations, ils ne pourraient être que superficiels, ou arriver trop tard, ou, enfin, vous embrouiller plutôt que vous aider dans ce que vous aurez à faire. Par ces raisons, je trouve à propos de vous faire un tableau en général de nos affaires et de vous détailler le gros de votre besogne, abandonnant, au reste, à votre sagesse et à votre pénétration le détail de l'exécution de ce que vous aurez à faire.

Ma situation est telle à présent que je suis délivré, au moins pour six mois, des Français dont la diversion m'a lié les bras l'année passée; et quoique ces mauvaises troupes ne m'aient porté de préjudice que par leur pillage,346-6 ils m'ont toutefois fait un mal réel en m'occupant de leur côté, tandis que les Autrichiens me faisaient faire des pertes réelles. Délivré des Français qui actuellement passent le Rhin, je dois faire mes plus grands efforts pour accabler la reine de Hongrie dès le commencement de la campagne, et c'est à quoi sont destinées mon armée de Silésie et [celle] de Saxe.346-7 Je n'ai de diversion à craindre que de la part de la Russie et de la Suède. Quant à la Russie, selon ce qui paraît, elle paraît avoir dessein de se fortifier sur la Vistule et d'en<347>voyer ensuite un corps contre moi. La nature de cette diversion peut être double : elle peut regarder la Poméranie, ou elle peut regarder la Silésie. Selon toutes mes nouvelles, c'est à cette dernière province que les Autrichiens font tous leurs efforts pour les attirer;347-1 mais comme ce corps de Russes destiné pour cette expédition ne peut agir contre la Silésie que vers la fin de juin au plus tôt, je compte vers ce temps de m'être mis dans un tel avantage à pouvoir détacher un corps d'armée pour m'y opposer.

Ce qui pourrait m'arriver de plus fâcheux, ce serait, si Fermor voulait pénétrer en Poméranie. Cela vous mettrait dans le fâcheux inconvénient de lâcher les Suédois, pour courir vers ces nouveaux ennemis. La façon de leur faire la guerre doit être de les chasser le plus promptement que vous le pourrez, de les attaquer en marche ou le moment qu'ils entrent dans le camp, pour qu'ils ne puissent point avoir le temps de s'arranger, de placer leurs canons et de se retrancher. Vous observerez soigneusement de ne faire votre attaque que par une aile, et comme le canon est furieusement devenu à la mode, vous ferez des batteries de grosses pièces et de haubitz à l'aile où vous attaquerez, pour démonter leur canon et pour leur faire perdre contenance. Si vous avez chassé ces gens-là, il faut incessamment retourner contre les Suédois, sans quoi rien ne les empêche d'aller droit à Berlin. Toutes ces circonstances me font donc infiniment souhaiter que vous puissiez porter un bon coup aux Suédois, avant que de vous voir forcé de tourner d'un autre côté; c'est à vous à employer la ruse et la force pour faire réussir ce dessein, dont il est clair et évident que la nécessité en est grande.

Pour tout ce qui regarde la subsistance des troupes, vous donnerez en tout cas vos ordres au président Aschersleben, et, quant à votre conduite, agissez toujours vigoureusement et offensivement; consultez les principes de l'honneur et prenez toujours les partis les plus honorables à la nation. II faut qu'un général soit hardi et audacieux; pourvu qu'il joigne de bonnes dispositions à sa témérité, il est ordinairement heureux. Vous êtes un homme, vous n'êtes point au dessus de la fortune, des malheurs peuvent vous arriver : mais vous devez être tranquille sur cet article et être sûr que je ne vous jugerai pas sur l'évènement, mais sur les circonstances où vous vous êtes trouvé, et sur les dispositions que vous avez faites. Si, par exemple, il s'agissait de marcher au devant des Russes, je ne crois pas qu'il convient d'aller plus loin que Cœslin. Cependant, je vous abandonne à régler tout cela; vous qui n'avez à penser qu'à cette seule chose, vous ferez mieux vos réflexions sur ce qu'il vous convient de faire que moi qui ai la tête pleine du gros fardeau qui m'accable ici.

Je dois ajouter à ce que je viens de dire que, si nous sommes<348> heureux, et qu'un corps russe s'approchant de la Silésie fût bien battu comme il faut, que je pousserai ma pointe et enverrais348-1 ce corps de Silésie passer la Vistule non loin de Varsovie pour tourner Fermor dans ses postes de Thorn, Elbing etc., et que, si vous aviez vers ce temps expédié les Suédois, j'aurais intention de vous faire marcher par la Prusse polonaise pour prendre Thom, Elbing, Danzig etc., après que l'autre armée aurait tourné Fermor et l'aurait obligé de s'éloigner de la Vistule.

Mais il n'est pas temps à présent de penser à ce dernier article; dès que je croirai la chose faisable, je vous en avertirai assez à temps, pour que vous preniez vos mesures en conséquence. Ne pensez premièrement qu'au Mecklembourg, ensuite aux Suédois, et, en levant une difficulté après l'autre avec l'aide du Ciel et de notre brave armée, j'espère de remettre toutes les choses dans l'état le plus avantageux pour l'État que nous servons, et notre commune patrie.

Federic.

Je vous envoie un chiffre français pour vos relations.

P. S.

Tout ce que je vous écris, n'est qu'en gros, mais le nombre de mes ennemis m'empêche d'entrer en détail et de faire un projet suivi. Voici donc le résumé de ce que vous tâcherez de mettre de votre mieux en exécution :

1° forcer les Suédois à la paix;

2° couvrir la Poméranie et l'Ukermark, si le premier est impossible;

3° rechasser les Russes, en cas qu'ils viennent en Poméranie ou dans la Nouvelle-Marche;

4° prendre des précautions pour Stettin;

5° et si vous avez été forcé à tourner vers les Russes, vous retourner contre les Suédois, après avoir battu ces premiers.

Federic.

Nach dem Concept. Eigenhändig.348-2



346-1 Nach dem Schreiben an Dohna vom 9. April ist die Instruction am 3. April zur Absendung gelangt.

346-2 Das ostpreussische Corps des Feldmarschalls Lehwaldt. Vergl. S. 324. 341.

346-3 Vergl. S. 342 mit Anm. 4.

346-4 Vergl. S. 342.

346-5 Vergl. S. 342.

346-6 Vergl. S. 193. 336.

346-7 Vergl. S. 304.

347-1 Vergl. S. 329.

348-1 So!

348-2 Unter den nachgelassenen Papieren Dohna's, die sich im Kriegsarchiv des Grossen Generalstabes befinden, ist eine Ausfertigung der Instruction nicht vorhanden.