11774. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Freiberg, 23 janvier 1760.

Je ne doute pas que les différentes lettres que je vous ai faites dans l'intervalle de ce mois, ne vous soient fidèlement rendues; pour moi, je manque encore des vôtres depuis le 1er du mois courant.

Comment38-1 il m'est revenu hier d'un très bon canal à Vienne38-2 l'avis suivant que je fais copier ici de mot en mot, savoir:

„On jette ici feu et flamme contre la paix, mais point de réponse encore à la déclaration. Point de paix qu'après que la maison de Brandebourg soit anéantie. Après cela l'on verra si on veut ou peut pardonner au roi d'Angleterre et aux autres adhérents du roi de Prusse la témérité qu'ils ont eue de s'opposer à la cour impériale. Mais une condition sine qua non sera d'annuler l'acte de l'assécuration du prince héréditaire de Hesse-Cassel.38-3 L'on ne donne pas tout-à-fait pour un évangile que ces sont les véritables sentiments de la cour même, mais c'est au moins le ton sur lequel on parle à Vienne à la cour et en ville.“

Voilà l'avis tel que je l'ai reçu, qui me paraît assez conforme à ce que l'on sait de la façon de penser de la susdite cour; mais, si la France saura convenir avec l'Angleterre d'un accommodement, je suis sûr que ladite cour altière et revêche sera bien obligée de mettre bien de l'eau dans son vin et de faire la paix à son tour, telle qu'elle pourra l'obtenir. Vous communiquerez, en attendant, confidemment de ce susdit avis avec M. Pitt, que vous lui lirez in extenso.

Après vous avoir marqué ceci, je viens de recevoir d'un autre côté un avis d'une personne qui m'a paru être bien au fait de la façon de penser du duc de Choiseul et qui m'a donné toujours des avis justes.38-4 Selon cet avis la France ne désire rien à présent avec plus d'empressement que de sortir de cette guerre et de s'accommoder avec l'Angleterre et ses alliés, quand même la première dût abandonner ses autres alliés présents pour faire sa paix séparément. Pour y mieux parvenir et d'autant plus tôt, elle souhaite qu'il y fût stipulé que j'évacuerais la Saxe. Sur cette condition je vous fais remarquer que, pourvu que la<39> paix se conclue, d'ailleurs, à des conditions raisonnables, je ne m'opposerai pas à ladite condition. L'on ajoute, secondement, que la France souhaitait que je donnasse quelque léger dédommagement au roi de Pologne-Saxe. Quant à ce point, je vous dirai qu'il ne faudra jamais s'attendre à ce que je me prêtasse à la moindre cession du mien, ni de mes possessions d'avant le commencement de la guerre à la cour de Saxe ou à qui que ce soit; mais vous vous souviendrez de la proposition que je vous ai déjà écrite dans une de mes dépêches antérieures,39-1 qu'on saurait stipuler au roi de Pologne l'acquisition et la cession de la ville d'Erfurt avec son territoire en Thuringe, qui pourrait servir à son dédommagement que la France souhaite.

L'on me mande, de plus, que la France voudrait rendre à l'Angleterre la Minorque, mais qu'elle souhaitait qu'on lui remet le Canada avec l'île de Guadeloupe; qu'en revanche elle céderait à l'Angleterre toutes les îles et possessions que celle-ci avait conquises durant cette guerre aux côtes d'Afrique; qu'au surplus l'envie de se tirer hors de cette guerre était forte à la cour de France, mais, s'il n'y aurait pas moyen d'y parvenir à présent, elle ne ferait la campagne qui vient aucun armement par mer, mais mettrait tous ses efforts et emploierait toutes ses forces par terre.

Vous ne manquerez pas de parler de tout ceci et d'en communiquer fidèlement à M. Pitt, en le priant de ma part de vouloir bien me communiquer confidemment ses idées sur ces propositions, au sujet desquelles je n'entrerais en rien, sinon que je croyais qu'en fidèle allié de l'Angleterre je devais en prévenir M. Pitt pour l'en avertir, et que je ne ferais jamais autre usage des idées qu'il voudrait bien me communiquer en confidence, que celui qu'il désirerait lui-même de moi; mais que, s'il croyait qu'il y en avait parmi ces propositions des acceptables à l'Angleterre, je me flattais que je serais peut-être en état de contribuer, en fidèle allié d'elle, qu'elle saurait parvenir à son but pour un accommodement avec la France et pour la paix à constater.

Faites-moi réponse à tout ceci le plus tôt que vous le saurez faire, par le courrier qui vous portera cette dépêche, et tâchez surtout de me bien instruire de la façon de penser des ministres anglais et en particulier du digne M. Pitt sur la paix à faire et sur les conditions auxquelles on voudra s'y prêter, afin que je sois seulement au fait de ce qu'ils veulent.

Federic.

P. S.

Voici des idées pour la paix qui se présentent à mon esprit. On ignore si la France a promis quelque agrandissement à la reine de Hongrie, mais supposant que cela fût, il paraît qu'on pourrait la contenter, en lui donnant quelque canton en Bavière; la branche électorale<40> qui gouverne ce pays, est sur le point de s'éteindre, ainsi cela ne causerait aucune difficulté.

L'évacuation de la Saxe ne rencontrerait non plus des obstacles, en y joignant la clause que les Français évacueraient les pays prussiens sur le Rhin et en Westphalie, les Russes la Prusse et que les Suédois se retournassent chez eux.

S'il faut absolument un dédommagement à l'électeur de Saxe, on propose la ville d'Erfurt et son territoire, que le roi de Pologne désire et qui arrondirait ses États.

Il sera plus difficile d'accommoder l'Angleterre et la France sur leurs prétentions réciproques. Si la guerre continue, l'Angleterre enlèvera la Martinique aux Français et achèvera la ruine de Pondichéry et du commerce de cette nation. La France, il est vrai, peut faire de grands efforts sur terre; mais, si l'on veut bien penser que l'Angleterre, n'ayant plus de descentes à craindre sur ses côtes, peut faire passer encore 30000 hommes en Allemagne, l'on conviendra que voilà à peu près la balance rétablie. Pour disposer donc l'Angleterre à faire une paix, la moins désavantageuse à la France, il faudrait que la France s'engage à obliger ses alliés à signer avec elle ou, en cas de déni, de leur refuser son assistance,40-1 soit en troupes, soit en argent ou en quoi que ce soit.

Vous vous expliquerez là-dessus avec M. Pitt, et me manderez exactement ce qu'il vous aura dit à ces sujets, afin de me mettre par là au fait de la façon véritable de penser de l'Angleterre sur la paix et sur les conditions auxquelles elle voudra la faire. Au reste, vous garderez ce post-scriptum pour votre seule direction.

Nach dem Concept.



38-1 So.

38-2 Durch einen Correspondenten des Herzogs von Braunschweig in Wien. Vergl. Nr. 11773.

38-3 Vergl. Bd. XI, 480. 481.

38-4 Die sonst nicht mehr vorliegenden Mittheilungen, waren jedenfalls von der Herzogin von Gotha mit ihrem Schreiben vom 17. Januar eingesandt worden. Vergl. Nr. 11775.

39-1 Vergl. Bd. XVIII, Nr. 11533.

40-1 Bis hierher vergl. Nr.. 11801.