11856. AU SECRÉTAIRE VON DER HELLEN A LA HAVE.

Freiberg, 23 février 1760.

Le rapport que vous m'avez envoyé du 16 de ce mois, m'a été fidèlement rendu, et je vous sais très bon gré de l'attention que vous avez eue pour m'informer exactement de ce qui s'est passé dans l'entretien que M. de Yorke a eu avec le comte d'Affry. J'en suis très satis<118>fait et surtout des réponses que le premier a données à ce ministre; j'ai particulièrement sujet de me louer de la déclaration si droite que M. de Yorke lui a faite sur mon sujet :118-1 ainsi que ma volonté est que vous fassiez à celui-ci un compliment bien flatteur et obligeant de ma part sur cet article, où il s'est aussi bien expliqué qu'on ne le saurait mieux faire. Mais ce que je pénètre à présent par tout ce que le comte d'Affry a fait paraître, c'est que les Français veulent duper les Anglais. Les premiers, voyant leurs forces maritimes presque anéanties et plus en état pour soutenir leurs colonies des Indes et de l'Amérique, voudraient bien faire leurs convenances sur leurs affaires d'Amérique avec l'Angleterre, à l'exclusion de celles de l'Allemagne, pour se moquer alors des Anglais et régler avec les deux cours impériales celles de l'Allemagne absolument à leur gré. Ce qui, à ce que je suis sûr, ne sera nullement de la convenance ni de l'Angleterre ni de ses alliés, vu la trop grande connexité des affaires de terre avec celles de la mer, parceque, malgré les succès que l'Angleterre avait eus en Amérique et sur mer, la France, appuyée des Autrichiens et autres princes d'Allemagne, gardait encore la supériorité sur les alliés d'Angleterre en Allemagne, dont le contrecoup, si les affaires de ceux-ci prendraient un train malheureux et dépériraient, retomberait toujours non seulement sur les possessions du roi d'Angleterre en Allemagne, mais sur l'Angleterre même, de sorte qu'il est impossible de séparer les affaires de l'Angleterre d'avec celles de ses alliés en Allemagne.

En attendant, il est toujours bon qu'on ait commencé de se parler [et] de s'expliquer, et, comme apparemment le comte d'Affry aura à présent des nouvelles instructions de sa cour, l'on en verra toujours plus clair dans les véritables intentions de la France.

Au surplus, je viens de voir des lettres de très bonne part118-2 qui, je ne saurais pas le dissimuler, marquent, à ma grande surprise, qu'on avait découvert que, selon un concert pris entre les cours de Vienne et de Versailles, l'armée qui doit être commandée par le prince de Soubise, devait s'assembler entre Liège et Maastricht au commencement de mars, pour s'emparer de Masstricht; que les ordres étaient actuellement donnés pour envoyer par la Meuse les farines et les autres provisions nécessaires pour la subsistance de cette armée; que le sieur Foullon118-3 avait écrit à un des commissaires de Liège de s'informer avec beaucoup de secret et de précaution où il se trouve des fours pour cuire le pain, quand il en faudra, parceque la construction de nouveaux fours répandrait l'alarme, et que les magasins et [du] foin et de l'avoine à Liège feraient subsister l'armée pendant quelque temps et que, d'ailleurs, selon un état de fourrages dans le pays de Liège qu'on avait<119> envoyé depuis peu à Paris, il paraissait qu'il y en avait dans ce pays plus qu'il ne fallait pour l'entretien de cette armée française pendant toute la campagne. Que les motifs d'assembler là une armée de si bonne heure et dans ces quartiers-là, étaient que les dépenses ruineuses de l'entretien des armées françaises dans le pays de Westphalie et en Hesse et le manque des chevaux de chariots et des fourrages rendaient presque impossible la continuation de la guerre de ce côté-là avec quelque espérance de succès, sans l'assistance de la république de Hollande. C'est ce qui avait déterminé la cour de France à prendre la résolution d'obliger la République à se déclarer pour ou contre la France. Si elle se déciderait en sa faveur, les Français tireraient alors leurs subsistances de Gueldre, d'Over-Yssel et de Frise, et il faudrait qu'on leur fournisse de là des chariots, des chevaux, des provisions etc., qu'ils ne paieraient que la guerre finie, de sorte que la France pousserait la guerre aux dépens de la République et leur armée aurait leurs magasins derrière elle en avançant. Si la République insisterait sur l'observation de la neutralité, la France interpréterait cela comme une déclaration contre elle, et le prince de Soubise s'emparerait de Maastricht, ce qui serait fort aisé, cette place n'ayant ni troupes ni provisions ni munitions ni rien de ce qui était nécessaire pour la défense d'une si grande forteresse, et la République n'aurait point le temps d'y suppléer, quand la scène serait une fois entamée. La citadelle étant prise, l'armée pourrait presque subsister des provisions et des contributions qu'elle tirerait des provinces voisines; en agissant secrètement, la République n'aurait point le temps d'augmenter ses forces, et dans la surprise elle se trouverait forcée de se déclarer d'un côté ou de l'autre, puisque la France ne souffrirait plus de neutralité.

Voilà un avis qui me paraît fort intéressant s'il n'y aura pas moyen [de douter] de son authenticité; je ne doute nullement que le prince Louis de Wolfenbüttel n'en soit pas informé. Pour moi, j'ai de la peine à me persuader encore que la France voudrait entreprendre un si noir attentat; cependant, après que la cour de Vienne a trouvé moyens d'inspirer ses maximes à ses cours alliées, il ne faut aussi garantir de rien.

Federic.

Nach dem Concept.



118-1 Im Verlaufe der Unterredung hatte General Yorke zu d'Affry geäussert, „qu'il devait sentir que l'Angleterre était en état et en volonté de soutenir ses alliés“ .

118-2 Vergl. Nr. 11849, 11850 und II851.

118-3 Der Generalintendant der französischen Armee.